
Pandémie et mesures d’exception par Eric de Nexon
Afin de faire face à la pandémie que nous connaissons aujourd’hui, le confinement s’est rapidement imposé dans la plupart des pays comme une mesure indispensable dans le but de la contenir au mieux. Il a fallu dès les premières semaines admettre que ce dispositif visant à répondre à la crise sanitaire serait la cause d’une crise économique sérieuse compte tenu des impacts significatifs de la première sur la plupart des activités, entraînant souvent l’incapacité totale ou partielle des acteurs concernés à les conduire, et parfois sans pouvoir garantir le strict respect des normes et réglementations les encadrant.
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Les autorités publiques en ont bien conscience et ont pris rapidement des mesures de toutes natures afin de soutenir l’économie bien sûr, mais aussi d’adapter les règles aux conditions particulières induites par le contexte du confinement, afin d’accompagner au mieux les acteurs économiques dans un cadre garantissant la continuité et la sécurité des activités.
Tous les secteurs sont concernés, d’une façon ou d’une autre, et bien évidemment celui des services financiers ne fait pas exception.
L’un des défis majeurs s’est avéré être celui du respect des engagementsréglementaires, notamment en ce qui concerne les différents chantiers de remédiation, les initiatives réglementaires et les projets d’infrastructures, sur lesquels les acteurs s’étaient fortement engagés.
Il nous a paru intéressant de relever certaines de ces mesures déjà prises ou encore en discussion, et qui visent plus particulièrement l’activité de acteurs du post marché et celles de leurs clients.
Comme je l’ai indiqué, ces mesures sont de différentes natures, souvent temporaires, et surtout concernent des échéances de plus ou moins long terme.
Celles de court terme ont été rapidement adoptées par les régulateurs et superviseurs, conscients qu’ils étaient que la priorité pour les établissements financiers et les intermédiaires serait d’assurer la production avec des ressources qui pourraient être mobilisées pour agir à distance et qui travailleraient probablement pendant quelque temps dans des conditions dégradées.
Celles de plus long terme visent à prendre en compte le délai qui sera nécessaire pour revenir à une situation normale et le retard pris dans la conduite des projets visant à mettre en œuvre les principales initiatives réglementaires et projets d’infrastructures. Il s’agira ici principalement de report des échéances initiales de ces initiatives.
La pandémie a ainsi conduit la BCE à adapter son dispositif de supervision avec notamment la mise en place d’un dialogue rapproché avec les banques, focalisées sur la mise en œuvre des plans de continuité d’activité et la gestion des risques les plus affectés par la crise.
Dans le même temps, la BCE a pris un certain nombre de mesures fortes pour alléger la charge de la supervision et permettre aux banques de se concentrer sur la gestion de la crise et de faire face aux difficultés opérationnelles actuelles. Elle a ainsi suspendu toute nouvelle mission d’inspection sur site, ainsi que, pour une période de 6 mois, toute émission de décisions ou lettres de suite. Elle a aussi décidé de prolonger de 6 mois les délais de réalisation pour toutes les remédiations en cours et allégé le planning des réunions de travail et les demandes de données.
L’AMF n’est pas en reste qui elle aussi a pris des mesures équivalentes en ce qu’elle a décidé de poursuivre, mais en mode allégé, les missions en cours, et de décaler celle qui devaient démarrer, le tout en étroite concertation avec les entités concernées.
Elle a défini ses attentes en matière de continuité d’activité et rappelé que le reporting des transactions Emir et MIF II devait continuer à être fourni sans délai et au même niveau de qualité qu’en temps normal afin qu’elle soit en mesure d’assurer ses propres missions de surveillance des marchés et des acteurs.
A l’inverse, l’autorité française des marchés financiers a reporté la date de remise de certains rapports périodiques tels que celui de contrôle interne (30 juin 2020) et celui de protection des avoirs (30 septembre 2020).
Elle a ensuite, en réaction à la très forte volatilité des marchés financiers, mis en place un encadrement plus stricte des ventes à découvert.
Dans le domaine des fonds d’investissement elle s’est intéressée à la mise en œuvre des Gates et autres mesures visant à assurer la liquidité des fonds tout en respectant l’égalité des porteurs de parts.
Elle a aussi largement communiqué sur la mise en œuvre des mesures temporaires (ainsi que les bonnes pratiques associées) qui avaient été arrêtées par ordonnances pour simplifier et adapter les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées générales. Ainsi les sociétés ont été exceptionnellement autorisées à tenir leur assemblée générale sans que leurs actionnaires – et les autres personnes ayant le droit d’y assister, tels que par exemple les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel – ne soient physiquement présents. Et en conséquence de ces possible huis clos, les actionnaires ont été conduits à ne pouvoir exercer leur droit de vote qu’à distance, avant l’AG.
Elle a enfin, conjointement avec l’ACPR, fortement renforcé ses actions d’information préventive des risques d’arnaques auprès des investisseurs particuliers, cette période étant propice à leur démultiplication.
D’autres régulateurs nationaux ont été amenés à prendre des mesures similaires afin de faire face aux impacts de la crise sanitaire, bien souvent dans le cadre d’actions coordonnées au niveau européen par l’ESMA. Ces mesures sont en général détaillées sur leur site web.
L’ESMA a en effet pris un certain nombre de dispositions qui relevaient de son domaine de compétence. Il s’est tout d’abord agit de recommandations visant à garantir, dans le contexte de crise sanitaire, la continuité d’activité, la transparence de l’information en matière d’activité de marché et de reporting financier, ainsi que la stricte gestion des risques par les acteurs et de leur suivi par les régulateurs. Il s’est ensuite agit, en coordination avec les régulateurs nationaux, d’encadrer les ventes à découvert, de reporter certaines échéances réglementaires, notamment celle concernant l’entrée en vigueur de l’obligation de reporting imposée par SFTR qui a été décalée au 13 juillet 2020, d’alléger les obligations de conduite d’audit externe pour les promoteurs d’indices, ou de reporter les dates limites de reporting financier pour les émetteurs et de reporting périodiques pour les fonds d’investissement. De même, les dates limites de réponse aux consultations en cours ont pour la plupart étaient reportées de 4 semaines. Ce report, s’il a été bien accueilli au regard des impacts de la pandémie, est souvent insuffisant compte tenu de la difficulté rencontrée par les établissements pour mobiliser les experts concernés affectés à d’autres tâches bien plus prioritaires. Enfin, suivant en cela les recommandations de BCBS – IOSCO, et en coordination avec les deux autres ESAs européennes, l’ESMA a validé le report d’un an de l’obligation d’échange bilatéral de marges entre contreparties de produits dérivés OTC, et ce pour les deux dernières phases de montée en charge.
Au-delà de ces différentes mesures que l’on peut qualifier de court terme et qui ont permis de faire face à l’urgence de la situation et de reporter les échéances les plus proches, se pose maintenant la question de celles plus lointaines mais qui ne paraissent pas pouvoir être maintenues sans faire peser des risques très significatifs sur les écosystèmes concernés
Quatre initiatives ont été tout particulièrement identifiées par l’industrie qui en a instamment demandé le report afin de pallier le retard pris dans la conduite des projets et le risque d’impréparation de tout ou partie des acteurs concernés aux dates initialement fixées pour leur mise en œuvre.
CSDR – régime de discipline de Règlement Livraison (SDR) – pénalités et rachats
La Commission Européenne a approuvé le 8 mai 2020 la proposition de l’ESMA de reporter l’entrée en vigueur du régime de discipline de Règlement Livraison initialement prévue pour le 13 septembre 2020, au 21 février 2021. La validation définitive du Standard Réglementaire Technique (RTS) reste soumise à une période de non objection d’un mois de la part des deux co-législateurs.
Ce report correspond aux attentes de l’industrie pour ce qui a trait à l’application des pénalités aux suspens de règlement livraison. Les dépositaires centraux et leurs participants seront prêts à traiter ces pénalités à compter du 21 février 2020. La plate-forme T2S sera elle adaptée et disponible en novembre 2020, ce qui permettra dès le mois de décembre 2020 de calculer les pénalités à titre informatif et pédagogique. Certaines questions restent à ce jour sans réponse, mais sans que cela ne compromette la nouvelle date d’entrée en vigueur.
Il n’en est pas de même en ce qui concerne les rachats de titres pour lesquels il a été demandé un report sine die. Les difficultés rencontrées dans le cadre de la mise en œuvre du processus de rachat de titres vont bien au-delà des seuls impacts liés à la pandémie et justifient à elles seules la demande de report.
Les associations professionnelles domestiques et européennes travaillent depuis plusieurs années sur le déploiement opérationnel des règles de rachat telles que définies par les textes réglementaires. Ces travaux ont conduit à soulever de très nombreuses interrogations qui restent à ce jour sans réponse bien qu’elles aient déjà été soumises à l’ESMA, et le plus souvent accompagnées de propositions de réponses. De plus, et c’est le plus important, les associations professionnelles en charge du suivi des activités de marché ont mis en évidence les impacts que pourraient avoir le nouveau régime de rachat de titres sur certains segments de marché, notamment en matière de liquidité.
De ce simple fait, pandémie ou non, l’industrie est dans l’impossibilité à ce jour de se préparer à une mise en œuvre opérationnelle pour le début de l’année 2021, ce qu’elle a notamment exprimé dans deux courriers adressés à la Commission Européenne et l’ESMA, l’un par l’ICMA le 20 mai 2020 et l’autre par l’ECSDA le 8 juin 2020.
ShRD II
Un courrier signé par 12 associations professionnelles nationales et européennes a été adressé à la Commission Européenne le 9 avril 2020 afin d’obtenir un report de 12 mois de l’entrée en vigueur de la directive initialement fixée au 3 septembre 2020.
Les raisons invoquées sont dans ce cas liées aux impacts de la pandémie sur le planning du projet au sein des établissements, mais aussi au risque d’un conflit possible entre la mise en œuvre des mesures de la ShRD II et la tenue de certaines Assemblées Générales d’actionnaires qui pourrait être reportée à l’automne 2020 : ceci ne serait pas gérable par les équipes opérationnelles. L’on s’attendait, compte tenu des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie, à une certaine bienveillance de la part de la Commission Européenne. Il a fallu déchanter : en effet la DG JUST, en charge du dossier, a répondu par la négative dans un courrier en date du 28 mai 2020. Pour l’instant, les associations professionnelles réfléchissent à poursuivre leur action considérant que la situation pour les établissements financiers est loin de s’être améliorée et que la tenue de la date initiale d’entrée en vigueur reste inenvisageable.
Consolidation des plates-formes T2 et T2S
De plus en plus d’acteurs concernés par la mise en œuvre de ce projet ont réalisé la nécessité de demander un report d’un an de la date de migration de ce projet prévue pour le mois de novembre 2021, ce compte tenu de l’incapacité évidente des équipes à tenir les délais au regard des retards qui sont déjà et seront pris en conséquence de la pandémie.
Les demandes exprimées par les établissements bancaires, mais aussi par les infrastructures, ont été formalisées dans un courrier prônant ce report et adressé le 7 mai 2020 par plusieurs associations bancaires européennes au Conseil des Gouverneurs de la BCE. La BCE semble maintenant envisager la possibilité d’un report du projet de consolidation, mais aussi conséquemment du projet ECMS planifié lui pour novembre 2022. Elle souhaiterait tout d’abord recueillir l’avis des différents acteurs de marché (acteurs titres, paiements, banques centrales, systèmes exogènes tels que EURO1 de EBA Clearing, …) avant de remonter une demande formelle de report au Conseil des Gouverneurs et a dans ce but fait circuler à la fin du mois de mai 2020 un nouveau questionnaire auquel les parties prenantes ont déjà répondu.
La BCE proposera vraisemblablement des scénarios alternatifs avec un décalage de six ou neuf mois au lieu d’un report d’un an. Le risque qu’elle entrevoit est en effet celui de « lier » définitivement la date de mise en œuvre de TARGET2 Services à celle de la migration cross-border ISO de SWIFT. Sur le fond, elle n’a pas tort, mais l’industrie n’a pas le choix : c’est la seule alternative sensée et à moindre coût pour les acteurs des paiements. L’on peut espérer une prise de décision potentiellement en juin 2020.
ECMS – European Collateral Management System
Ce projet, initialement prévu pour novembre 2022 pourrait être retardé en suite du report du projet de consolidation des plates-formes T2 et T2S (cf. ci-dessus). La date de report dépendra bien évidemment de celle retenue pour ce dernier.
La période de confinement s’achève et celle de sortie du confinement commence. La première a montré la résilience opérationnelle des acteurs des services financiers, et les mesures d’urgence prises au cours de ces derniers mois par les régulateurs et superviseurs y ont contribué. Les mois à venir devraient être ceux du retour à une situation normale. Mais l’on sait que ce processus sera long et compliqué. Il est important que les autorités publiques continuent à accompagner le mouvement en continuant d’adapter les contraintes pouvant peser sur les acteurs, notamment en adaptant les échéanciers réglementaires en coordination avec l’industrie.