Réglementation ESG en 2023 : mieux vaut surfer sur la vague que d’en attendre la fin

23/03/2023

Le plan d’action pour la finance durable 2018 s’est concrétisé dans des réglementations ambitieuses. Alors que leur période de mise en œuvre commence, les efforts de l’industrie sont considérables. Mais cela portera-t-il des fruits sur le long terme ? Les gestionnaires d’actifs sont partagés entre enthousiasme, scepticisme et crainte de greenwashing. Laetitia Hamon, Responsable de la Finance Durable à la Bourse du Luxembourg, partage son point de vue.

Des réglementations ambitieuses ont changé la donne

Pendant des années, j’ai pu constater que le concept d’investissement ESG et durable se résumait trop souvent à un vœu pieux. Toutefois, la réglementation a incité la majorité des acteurs financiers à le prendre en compte et à agir. C’est en soi un accomplissement majeur.

Le Plan d’action pour la finance durable 2018 comporte de nombreux points positifs. Sa couverture à la fois des définitions, des données au niveau des entités et des produits, de la commercialisation des produits et de la distribution était une initiative très courageuse et ambitieuse. Le fait qu’il ciblait à la fois les secteurs des fonds, des banques, de l’assurance, des caisses de retraite et des marchés de capitaux est encore plus révolutionnaire.

Maintenant que ces idées se sont, pour la plupart, traduites en réglementation, la période de mise en œuvre commence. Les efforts sont considérables. Ils impliquent une coordination stratégique, des ressources financières et humaines et, sans aucun doute, une vision à long terme. Soyons honnêtes, l’application de ces réglementations peut être pénible pour certains acteurs qui se retrouvent face à une tâche à priori colossale. La question est la suivante : cela va-t-il porter ses fruits sur le long terme ?

Pour répondre à cette question, commençons par la pierre angulaire du paquet de mesures de l’Union européenne (UE) sur la finance durable, à savoir la taxonomie de l’UE.

La taxonomie de l’UE, un outil plutôt que la solution

Jusqu’à présent, l’absence d’un cadre de classification harmonisé a donné lieu à des interprétations diverses du terme « activités vertes » et, malheureusement, à un certain niveau de greenwashing. Grâce à la taxonomie de l’UE, on ne se contentera pas d’évoluer vers un reporting obligatoire, on disposera également d’une base idéale pour progresser vers une évaluation plus compréhensible et scientifique de la part des activités vertes des entreprises, du niveau des actifs verts dans leur bilan ainsi que des caractéristiques et des impacts de nos investissements en matière de durabilité.

Toutefois, la taxonomie de l’UE n’est pas terminée. Des secteurs majeurs ne sont pas encore couverts par ce document, dont l’agriculture. L’inclusion du nucléaire et du gaz a suscité des débats intenses, et la multiplicité des taxonomies régionales et locales ne facilite pas le travail des investisseurs internationaux. Compte tenu de ces limites et du fait que notre modèle économique actuel n’est malheureusement pas en adéquation avec les objectifs climatiques, le pourcentage d’alignement sur la taxonomie est généralement très faible.

Dans cette optique, la taxonomie de l’UE devrait être considérée comme un outil plutôt que comme la solution pour réorienter les capitaux. En outre, bon nombre des investissements nécessaires pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 sont trop modestes, pas encore assez rentables, ou ont lieu dans des économies émergentes considérées comme plus risquées.      

Une étude récente du Luxembourg Green Exchange (LGX)1décrit l’utilisation volontaire de la taxonomie de l’UE par les émetteurs comme un outil pour rendre compte de l’alignement de leurs titres obligataires. En effet, bien que la taxonomie soit encore en cours d’élaboration et que les émetteurs d’obligations durables ne soient pas, pour le moment, tenus de rendre compte de l’alignement de leurs obligations, un certain nombre d’émetteurs ont commencé à adapter les informations qu’ils fournissent de manière à refléter cette partie clé du paquet de mesures sur la « finance durable ».

L’analyse de 5 451 obligations durables réalisée dans le cadre de l’étude révèle que certains éléments du système de classification verte sont déjà inclus dans les informations fournies pour 27 % des obligations vertes, durables et liées au développement durable cotées par des émetteurs basés dans l’UE.

Il est donc légitime d’affirmer que la taxonomie de l’UE est, même si elle peut encore être améliorée, un outil puissant pour stimuler un changement positif.

Conjuguer les préférences en matière de durabilité et les campagnes de sensibilisation

Si l’on examine les amendements aux directives MiFIDII2 et DDA3, on peut s’interroger sur le fait que demander aux investisseurs leurs préférences en matière de durabilité se traduira ou non par une hausse de la demande de produits durables.

Il est probablement trop tôt pour le dire. Si l’approche proposée consistant à demander à l’investisseur ses préférences en matière de durabilité est absolument essentielle, « comment » le faire afin que cela soit constructif reste un sujet brûlant. Comme le souligne l’Autorité bancaire européenne, « la définition des trois catégories d’instruments financiers parmi lesquelles les investisseurs doivent choisir est très technique et contient des références à des sources réglementaires qui ne peuvent être expliquées au client de manière simple et compréhensible. » Ce n’est donc pas vraiment quelque chose qui peut être couvert lors d’une réunion d’une demi-heure avec votre conseiller financier.

 La question sur les préférences en matière de durabilité mettra ce sujet de discussion sur la table et fera prendre conscience aux investisseurs que leurs investissements ont un impact sur l’économie réelle. Voilà une notion qui était jusqu’à présent trop abstraite  et relativement négligée.

Ce qui est certain, c’est que ces efforts doivent s’accompagner de grandes campagnes publiques et de programmes d’éducation pour sensibiliser les investisseurs finaux, qui hésitent entre enthousiasme et scepticisme à l’égard des produits durables.

La communication d’informations rend les acteurs financiers plus prudents quant à leurs prétentions en matière de durabilité

Enfin, le SFDR4 réussira-t-il à réduire les asymétries d’information sur les risques, les impacts et les caractéristiques en matière de durabilité des produits financiers ?

Je me souviens d’une époque où les gestionnaires d’actifs disaient qu’ils pratiquaient « l’intégration ESG » et considéraient que leur gamme complète de fonds était durable. Le règlement SFDR a contraint les gestionnaires d’actifs à analyser chaque produit et à être plus prudents quant à leurs prétentions en matière de durabilité. Il s’agit bel et bien d’un grand pas en avant.

Mais la peur du greenwashing ne doit pas décourager

Cependant, la réglementation, la crainte d’être accusé de greenwashing et la complexité de mise en œuvre peuvent également dissuader les gestionnaires d’actifs de se mettre au « vert ».

Les récentes enquêtes menées et amendes imposées par plusieurs régulateurs comme la SEC5 aux États-Unis ou la FCA6 au Royaume-Uni concernant des promesses trompeuses en matière de durabilité, ainsi que l’appel à contributions sur le greenwashing de la part des autorités européennes de surveillance, sont des évolutions bienvenues. Si ces initiatives soulignent avec raison ce qui fonctionne mal et doit être amélioré, il ne faut pas oublier que le secteur fait également des efforts considérables et réels pour publier des informations exactes et fiables.

La réglementation devrait susciter de l’enthousiasme plutôt que des craintes

Il est important que la réglementation continue d’encourager plutôt que de décourager. Il faut susciter de l’enthousiasme pour les produits durables et non des craintes.

Un changement systémique est-il en cours ? Seul l’avenir le dira. Quoi qu’il en soit, ces réglementations sont appelées à perdurer et la plupart des gestionnaires d’actifs s’y adapteront tant bien que mal au fil du temps.

Toutefois, la réglementation ne peut certainement pas, à elle seule,changer notre façon individuelle d’épargner, d’investir ou d’emprunter, ni celle des gestionnaires d’actifs et d’autres acteurs financiers. Pour que nos mentalités et nos habitudes changent profondément et durablement, il faut investir massivement dans la formation en finance et en finance durable, même si ces deux domaines ne doivent pas être considérés comme des concepts distincts et isolés.

Laetitia Hamon, Responsable de la finance durable, Luxembourg Stock Exchange

1www.bourse.lu/eu-taxonomy-study-2022
2Directive sur les marchés d’instruments financiers

3Directive sur la distribution d’assurances

4Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers

5Securities and Exchange Commission des États-Unis

6Financial Conduct Authority du Royaume-Uni

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