La liquidité, la clé du développement du marché obligataire en Afrique de l’Ouest et Centrale ?

16/12/2021

Les marchés financiers s’installent progressivement dans le paysage africain comme des sources alternatives de financement tant pour les Etats que pour plusieurs grandes entreprises ; le compartiment obligataire arrivant largement en tête en termes de mobilisation des ressources.

Les capitalisations boursières du compartiment actions affichent une situation relativement modeste, alors même que le nombre de bourses a considérablement cru au cours des dernières décennies. On constate en effet une croissance spectaculaire des marchés financiers africains, lesquels sont passés d’une douzaine en 1990, à 29 à fin 20201 couvrant ainsi l’ensemble du continent. La capitalisation boursière a également connu une croissance spectaculaire, culminant à plus de 1 282 milliards de USD à fin 2020, avec plus de 2500 entreprises cotées en Bourse2. Les introductions en bourse se sont multipliées, permettant à certaines banques et autres entreprises de lever des capitaux considérables ; cela a illustré la profondeur de l’épargne locale et l’intérêt des investisseurs nationaux pour les places boursières.

Pour ce qui est des marchés obligataires domestiques africains au sud du Sahara, ils affichent une dynamique corrélée aux réformes monétaires engagées dans certaines zones telles que l’abandon par les autorités du financement des déficits budgétaires par la planche à billets CEMAC3 et UEMOA4, à l’accroissement des besoins de financement des Etats (conduite des programmes d’émergence, poursuite des objectifs de développement durable des Nations Unies - ODD), à la gestion de la crise pétrolière, et plus récemment, à la riposte contre la Covid-19.

C’est dans ce contexte global que les marchés obligataires prennent de l’ampleur ces dernières années. A l’échelle de la CEMAC par exemple, l’encours des valeurs du trésor au 31 mars 2021 s’est établi à 3.588,8 milliards FCFA (6,5 milliards de dollars), en hausse de 11,27 % par rapport à la situation au 31 décembre 2020 et de 66,03 % un an auparavant, c’est-à-dire 2.161,5 milliards de FCFA à fin mars 20205.

En zone UEMOA, la croissance du marché obligataire souverain devrait rester dynamique selon le FMI : « Les États membres devraient faire massivement appel aux emprunts régionaux durant la phase de convergence, compte tenu des niveaux élevés de déficit budgétaire (…) Plusieurs mesures visant à accroître la profondeur et la liquidité du marché des effets publics pourraient être introduites à court terme, comme le renforcement du rôle des spécialistes en valeurs du Trésor et l’amélioration de la communication des États sur leurs programmes d’emprunt ». 6

Le marché obligataire nigérian à lui tout seul est aussi particulièrement dynamique grâce à une base d’investisseurs plus large, au point de figurer dans le JPMorgan Government Bond Index-Emerging Markets GBI-EM (https://www.jpmorgan.com/content/dam/jpm/cib/complex/content/markets/composition-docs/pdf-16.pdf).

Avec près de 450 milliards de USD de PIB, et des rendements d’intérêts à 2 chiffres sur les obligations d’Etat7, le Nigeria a été pendant longtemps une destination de choix pour les investisseurs étrangers. Cependant, la crise économique engendrée par la pandémie de COVID 19 combinée à la baisse du cours du baril de pétrole a provoqué une dégradation des finances publiques, ainsi qu’une forte inflation. En conséquence, les rendements réels négatifs sur les obligations d’Etat les rendent moins attractifs et la faible disponibilité des devises ne facilite pas la sortie des capitaux investis8.

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Parallèlement, les marchés financiers internationaux deviennent également très courus par les Etats subsahariens. En effet, depuis près de deux décennies, de nombreux pays subsahariens ont recours aux Eurobonds pour répondre à leurs besoins liés au financement des infrastructures, aux déséquilibres des finances publiques et au refinancement des dettes publiques.

Cette dynamique des marchés primaires obligataires contraste pourtant avec l’atonie du marché secondaire dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. A l’exception notable du Nigéria qui affiche une base d’investisseurs plus forte que les autres Etats, l’UEMOA enregistre très peu d’opérations sur le secondaire8 comme la plupart des marchés financiers subsahariens.

Ce stress de liquidité du marché secondaire est de nature à gripper l’ensemble des circuits de financements obligataires puisque les principaux investisseurs qui alimentent habituellement les marchés primaires sont des banques. La contrainte de respect des ratios prudentiels (division ou concentration des risques, solvabilité, d’immobilisations financières, etc.), constitue un frein pour les banques de souscrire sur les marchés primaires obligataires pourtant indispensables au financement des Etats et donc du développement.

En zone UEMOA, l’admissibilité des titres publics aux guichets de refinancement de la Banque Centrale (BCEAO) constitue un frein objectif au développement du marché secondaire. En effet, les banques qui sont les principaux acquéreurs de titres publics (Les banques sont les premiers acheteurs de titres publics. Selon le FMI, « elles détenaient 81,2 % de l’encours fin 2019 »8) préfèrent s’approvisionner en liquidité via le refinancement à la banque centrale (à des conditions attractives), plutôt que par la revente des obligations sur le marché secondaire.

Il devient par conséquent urgent que les banques trouvent une base d’investisseurs intérieurs et étrangers capables de racheter des titres acquis sur les marchés primaires, afin de leur permettre d’enclencher une rotation de portefeuilles et de donner de la profondeur sur une base pérenne aux financements obligataires.

Lors de la conférence en ligne Bonds, Loans & Sukuk Francophone Africa le 24 Mars 2021 (https://bondsloans.com/livestream/francophoneafrica), une table ronde a abordé les moyens de développer le marché secondaire obligataire en Afrique sub-saharienne francophone pour attirer les investisseurs internationaux. 3 pistes ont été évoquées.

Piste 1 : L’amélioration des infrastructures de marché

Par infrastructure de marché nous entendons : l’Autorité de Régulation, l’entreprise Bourse des Valeurs Mobilières et le Dépositaire central. Les efforts à consentir résident dans la promotion internationale des marchés (communication dans des forums internationaux, mise à disposition des données de marché, explication du cadre réglementaire – Market Guide, adoption de textes aux standards internationaux, etc.).

Piste 2 : l’assouplissement des politiques de change (réglementations de change)

Les marchés africains présentant une base étriquée d’investisseurs, l’épargne qui y circule est insuffisante pour créer des dynamiques de transactions sur le marché secondaire et primaire d’ailleurs. Il est donc important que les cadres réglementaires régionaux puissent être vertueux afin d’attirer les capitaux étrangers (investisseurs institutionnels internationaux de type – Fonds d’investissement, Fonds de pension, investisseurs institutionnels, etc.) qui ont de la devise forte.

En zone CEMAC, une idée émerge suggérant la mise en place d’un corridor pour faciliter les rapatriements des produits des investissements en portefeuille opérés dans la zone.

Piste 3 : le développement de l’infrastructure custody afin de la hisser aux standards internationaux

Les intermédiaires de marché doivent offrir des prestations aux standards internationaux afin de rassurer notamment les grands investisseurs et les grands clients (Global custodians) dans la prise en charge des sujets fiscaux (réglementaires, rapatriement de fonds) et communicationnels (diffusion d’informations sur le marché, présentation des opportunités d’investissement, alerte sur les évolutions réglementaires, prestation de services de type services aux émetteurs (vote par procuration lors de Assemblée, etc.)).

Marie-Antoinette Nzebo, SGSS Country Head Ivory Coast/WAEMU
Isabelle Fodop, SGSS Country Head Cameroon/CAEMU  
Stéphane Ndri, SG Capital Asset Management West Africa Portfolio & Fund Manager  

 


Source : African Markets Mai 2021 ; WFE Annual Statistics Guide 2020
2 CEMAC : Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale
3 UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine

4Source : www.financialafrik.com/2021/08/20/cemac-marche-fluctuant-des-emissions-des-valeurs-du-tresor/

5 Source : www.imf.org/-/media/Files/Publications/CR/2021/French/1WAUFA2021001.ashx

Source : fr.investing.com/rates-bonds/nigeria-government-bonds

Source : Bloomberg, Mars 2021

8 Source : Initiative de financement à long terme en Côte d’Ivoire ; Rapport du diagnostic pays / Septembre 2019 ; FSD AFRICA