Faut-il croire que 80% des actifs sous gestion résultent d'une stratégie d'investissement responsable ?

26/11/2019

Comment mesurer la sincérité et l'efficacité des efforts déployés pour mettre en oeuvre une conduite responsable en matière d'investissement ? S'agit-il seulement de l’écoblanchiment de vieilles habitudes restées intactes ? Chez AG2R LA MONDIALE, près de 100 % des actifs sous gestion sont des investissements responsables. Je répondrai donc à ces questions en ce qui nous concerne avant d'aborder le secteur en général.

Tout dépend du degré des attentes : une politique d'investissement responsable consiste-t-elle à introduire des critères extra-financiers dans la gestion d'actifs (c'est-à-dire une obligation de moyens) ? Ou vise-t-elle à produire des portefeuilles extrêmement vertueux d'un point de vue ESG (autrement dit, une obligation de résultats) ?

AG2R LA MONDIALE gère approximativement 100 milliards d'euros d'actifs1 :

  • dont 100 % dans le cadre de sa politique IR ;
  • dont 10 milliards investis dans ses fonds internes, durables et socialement responsables (ISR), établis de longue date et très bien notés en matière d'ESG.

Seule différence entre l'investissement responsable et l'investissement socialement responsable, un mot - « social ». Cela ne veut pas dire pour autant que l'IR oublie d'être « social », mais plutôt qu'il n'est pas censé être aussi sélectif que le sont les fonds ISR. Si c'était encore possible, il serait judicieux de renommer l'ISR en « Investissement sélectif responsable » (obligation de résultats), ce qui irait utilement de pair avec l'IR (obligation de moyens) pour couvrir toute la palette des politiques possibles.

Notre politique IR répond donc avant tout à une obligation de moyens. Nous avons établi, avant l'adoption de la loi française sur la transition énergétique, une politique interne visant à intégrer les critères extra-financiers dans notre processus d'investissement et à contribuer aux principaux objectifs du développement durable. Nous avons récidivé en mars 2018, avec la signature des PRI, en tant que gérant d'actifs, en engageant l'ensemble de nos actifs sous gestion et pas seulement les actifs de notre société de gestion. Cette obligation de moyens, communément appelée « intégration ESG » peut être difficile à mesurer ou à démontrer avec des preuves tangibles. Il s'agit pourtant d'une véritable pratique quotidienne qui débute avec la rituelle « réunion du matin » durant laquelle les analystes ESG interviennent avec d'autres analystes et gérants de fonds – tous les gérants de fonds et pas uniquement les spécialistes ISR.
Tous les gérants ont accès à la base de données ESG exclusive de la société. Les émetteurs d'obligations et d'actions se voient octroyer une note sur la base d'un large éventail de critères ESG. Les analystes crédit intègrent également ces notes ESG dans leurs propres évaluations, au même titre que l'analyste du risque pays. L'intégration des critères ESG franchit deux étapes de plus que le simple processus d'information.

Elle inclut également une série de critères d'exclusion sectorielle (armes les plus controversées, tabac et charbon), ainsi qu'une politique de vote active dans les assemblées générales – similaire à celle mise en place pour nos fonds ISR, qui ont marqué la première étape IR de notre société au début des années 2000. Ces fonds sont gérés dans le cadre d'une approche classique bestin-class, en vertu de laquelle les émetteurs sont d'abord sélectionnés sur la base de leurs notes ESG, qui doit être au moins égale à la note médiane du secteur. Puis vient la sélection financière. Une sélection très forte s'opère à ce stade, puisque près de 50 % de l'univers d'investissement est exclu. Cette sélection garantit en outre que les fonds n'excluent aucun aspect ESG – un point particulièrement important à l'heure où les questions environnementales tendent à occuper le devant de la scène : n'oublions pas les défis sur les fronts de la responsabilité sociale et de la gouvernance. Cette sélection peut également attester concrètement de notre engagement, des mesures que nous prenons en tant qu'investisseur. Elle convient à l'audit et à la certification externes – et nous nous sommes félicités de la création d'un Label ISR public en France. Elle permet de réduire considérablement les soupçons de greenwashing. Elle obligera les gérants d'actifs à faire preuve de plus de transparence et de cohérence dans leurs processus. Toutefois, qui dit sélection dit aussi exclusion : de quels pans de l'économie mondiale est-il normal ou politiquement acceptable d'exclure l'accès aux fonds : l'énergie ? Le transport ? L'industrie minière ? La banque ? L'approche best-in-class répond en partie à cette question en maintenant une position pour l'ensemble des secteurs (hormis quelques exclusions très limitées telles que le tabac, le charbon, etc.). Cependant, elle exclut la moitié des entreprises. Par définition, elle ne peut donc pas être appliquée à l'ensemble de l'univers d'investissement. Les fonds ISR peuvent donc être les fers de lance de l'approche d'investissement IR, les premiers à faire des émules chez les retardataires en matière d'ESG. Mais il semble difficile de les voir conquérir 100 % des actifs sous gestion.

Il faut espérer que la distinction établie ici entre IR et ISR tende à s'estomper à l'avenir :

  • Il est possible qu’on évolue progressivement vers un calcul en termes absolus des critères définissant une bonne politique IR , et non en termes relatifs, comme c'est le cas aujourd'hui avec les méthodes best-in-class. Pour ce faire, il faut encore progresser dans la caractérisation normalisée et mesurable des critères ESG pour les entreprises et les États.
  • Les mauvaises pratiques en matière d'ESG tomberont progressivement dans l'illégalité de sorte que l'univers d'investissement sera de plus en plus compatible avec le développement durable, et le monde réel avec lui.

 

1Site d'AG2R La Mondiale. Rapport financier 2018. www.ag2rlamondiale.fr/investors/financial-results