Distribution de fonds: un vaste potentiel, mais comment le libérer?

26/09/2019

Si certains segments du secteur financier ne se sont pas encore complètement remis de la crise financière de 2008, d’autres se portent particulièrement bien depuis lors.Cependant, des problèmes démographiques et de numérisation apparaissent, susceptibles de transformer complètement le secteur de la gestion d'actifs. Ils devront être traités rapidement si les joueurs d’aujourd’hui veulent rester pertinents.

En plein essor depuis de nombreuses années, la gestion d’actifs a enregistré des taux de croissance impressionnants au cours de la dernière décennie. Surfant sur l’un des plus longs marchés haussiers de l’histoire, sur la croissance continue de la richesse mondiale et la faiblesse des taux d’intérêt, le volume d’actifs sous gestion (un indicateur clé de la santé du secteur) est passé de 39 000 milliards de dollars en 2008 à 79 000 milliards en 20171, selon le cabinet BCG (Boston Consulting Group). Bien que le volume d’encours sous gestion ait légèrement diminué en 2018 (ce qui s’explique en grande partie par le trou d’air du marché en fin d’année, un évènement déjà oublié), la collecte nette (argent frais) reste, pour l’an passé, tout de même très positive à plus de 1 000 milliards de dollars2.

En outre, les perspectives du secteur semblent plus prometteuses que jamais. Selon une enquête menée par PWC3, le volume d’encours sous gestion à l’échelle mondiale s’élèvera à 145 000 milliards de dollars en 2025. Même si des turbulences se produiront inévitablement en cours de route (comme le trou d’air mentionné précédemment), les tendances sous-jacentes continueront d’alimenter la croissance et de nouvelles se manifesteront lorsque les États commenceront à se pencher sur leurs problèmes de retraite. À titre d’exemple, Deloitte4 estime qu’à la suite des réformes, le régime de retraite australien représentera à lui seul 35 000 milliards de dollars australiens d’ici à 2035, contre 2 000 milliards aujourd’hui.

Les défis de la démographie et de la numérisation

Toutefois, deux grands défis susceptibles de remodeler totalement le secteur se profilent. Les acteurs d’aujourd’hui vont devoir les relever rapidement s’ils veulent rester pertinents.

En effet, démographie et numérisation, ensemble, pourraient bien redéfinir la relation entre investisseurs et gestionnaires d’actifs.

Sur le plan démographique, alors que les baby-boomers et la génération X vieillissent, une nouvelle génération prend le relais : les Millennials, nés après 1980, ils ont atteint l’âge adulte à partir des années 2000. Cette génération représente déjà une part de plus en plus importante de la population active. Aux États-Unis par exemple, les Millennials représenteront 75 % de la main-d’œuvre d’ici à 2030.

Davantage susceptibles que leurs parents de devenir entrepreneurs, ils sont en train de bâtir leur propre patrimoine, mais ils bénéficieront également au cours des trois prochaines décennies du plus important transfert intergénérationnel de richesse de l’histoire, une somme colossale de 59 000 milliards de dollars6.

Les Millennials influencent déjà le choix des produits proposés par le secteur. Pour une génération qui aura environ 60 ans en 2050, les sombres prévisions concernant le changement climatique ont des répercussions plus concrètes que pour les autres. C’est ce qui explique en partie l’augmentation récente de l’offre de fonds répondant aux exigences ESG. Les sociétés de gestion d’actifs élaborent également des produits d’investissement qui ciblent les entreprises en mesure de capter les préférences des Millennials (par exemple, l’ETF Millennials de Principal Global Investors).

Toutefois, le défi consistera à accéder à ce vaste vivier d’investisseurs. Dans une enquête réalisée en 20147, PWC prenait l’exemple fictif de Wei, une jeune professionnelle chinoise, en route pour son travail, qui investissait par l’intermédiaire de son téléphone portable dans un fonds recommandé par son application de rencontre et promu par un grand moteur de recherche qui s’était associé à une société « Fintech » pour procéder au traitement instantané des transactions en espèces.

Rebutés par tout ce qu’ils considèrent comme étant bureaucratique et fastidieux, les Millennials exigeront simplicité et efficacité dans leurs relations d’investissement. Bien entendu, le téléphone mobile sera leur moyen de communication privilégié et les transactions devront être  bon marché et rapides. Un cycle de règlement de trois jours est difficile à comprendre lorsque vous pouvez « dénouer » en quelques heures sur Amazon la livraison à domicile des dernières chaussures à la mode. Ils exigeront la publication de rapports dynamiques et la possibilité de les partager avec leurs tribus sur les réseaux sociaux.

Ils s’estiment uniques et considèrent qu’ils ne font pas partie d’un segment de clientèle. À ce titre, ils exigent une expérience personnalisée et des recommandations de sources qu’ils considèrent fiables sur des produits qui satisfont à la fois leurs besoins et leurs convictions.

Désintermédier la distribution avec de nouveaux canaux

La bonne nouvelle, c’est que tout cela est rendu possible par la numérisation. En effet, les systèmes d’analyse de données « big data » et les robots-conseillers peuvent dès à présent proposer des solutions personnalisées aux clients. Encore faut-il avoir accès aux données. Pour capter l’information et répondre aux attentes des Millennials, le secteur tente de promouvoir un modèle de distribution plus direct (D2C, direct aux consommateurs), et ce, sans  crisper les intermédiaires (distributeurs) actuels.

La mauvaise nouvelle, c’est que la plupart des acteurs ont peu d’expérience lorsqu’il s’agit de traiter directement avec un particulier en tant que client final. Par ailleurs, sous la pression d’une concurrence féroce, de performances moyennes et d’ETF bon marché, ils perçoivent essentiellement la technologie comme un moyen de réduire les coûts, par le biais de gains d’efficacité dans la gestion de portefeuille ou les processus de middle et back office (par exemple, en utilisant la blockchain et les « smart-contracts » pour gérer les transactions et les registres des investisseurs).

Cette vision est partielle. En effet,  la principale révolution qu’apporteront technologie et numérisation sera la capacité à désintermédier la distribution tout en ouvrant de nouveaux canaux.

Pour le moment, les GAFA sont occupés sur d’autres projets, Amazon examine une entrée sur le secteur de la santé aux États-Unis et Facebook a annoncé le lancement de Libra, sa nouvelle crypto-monnaie. Mais en Chine, les géants du numérique se sont déjà invités dans  l’univers de la gestion d’actifs. Promu par une filiale d’Alibaba, Yu'e Bao est aujourd’hui le plus grand fonds monétaire au monde. Selon le Financial Times8, son succès a été tel que les régulateurs chinois, inquiets des risques systémiques, l’ont poussé à réduire ses activités.

Un dicton au sein du secteur dit que si un acteur de type GAFA décide d’entrer sur le marché, le résultat ne sera pas tant un « changement des règles du jeu » qu’un « arrêt pur et simple du jeu ». La question est probablement davantage de savoir « quand », plutôt que « si » une grande entreprise de technologie passera à l’acte.

Accueillir les révolutions à bras ouverts pour progresser en cette ère du numérique

Le recrutement d’un responsable du service numérique et la définition d’une stratégie numérique couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur et, en particulier, la distribution sont aujourd’hui des impératifs pour les acteurs du secteur, qu’il s’agisse des sociétés de gestion d’actifs elles-mêmes ou de leurs prestataires de services.

Les entreprises les plus agiles se sont associées à des start-ups spécialisées dans la technologie financière qui élaborent par exemple des applications d’épargne proposant des solutions d’investissement adaptées aux Millennials. Parallèlement, les prestataires de services développent des systèmes d’analyse des données de distribution afin de soutenir leurs clients gestionnaires d’actifs.

Il reste beaucoup à faire. Comment conquérir des clients à l’ère du numérique ? Comment communiquer avec eux ? Comment recueillir et utiliser leurs données ? Les secteurs qui ne l’ont pas fait ont pratiquement disparu au profit des acteurs purement numériques (songez à la dernière fois que vous êtes entré(e) physiquement dans une agence de voyages).

La gestion d’actifs, longtemps considérée comme un secteur à la traîne dans le domaine de la technologie numérique (comme le décrit une enquête menée par PWC9), doit désormais apprendre vite et prendre le train des révolutions démographiques et numériques si elle veut profiter de la croissance à venir et rester pertinente.

Soyons un brin provocateur et allons plus loin dans l’expérience fictive de Wei. Dans un monde de réseaux sociaux disposant de données abondantes sur leurs participants, les IA (intelligences artificielles) pourraient prodiguer à peu de frais des conseils d’investissement personnalisés. Les actifs pourraient être conservés dans un registre distribué basé sur la blockchain, acquis par le biais de contrats intelligents (« smart contracts ») et payés instantanément dans une crypto-monnaie propre au réseau social concerné. Dans un tel environnement, qui aurait encore besoin d’un organisme de placement collectif traditionnel ?

[1] BCG, Global Asset Management 2018, The digital metamorphosis
[2] BCG, Global Asset Management 2019, Will these ‘20s roar?
[3]PwC, Asset & Wealth Management Revolution: Embracing Exponential Change, 2017
[4]Deloitte, Dynamics of the Australian Superannuation System The next 20 years: 2015 – 2035, November 2015
[5]dynamicsignal.com/2018/10/09/key-statistics-millennials-in-the-workplace
[6]Boston College : https://www.bc.edu/content/dam/files/research_sites/cwp/pdf/Wealth%20Press%20Release%205.28-9.pdf
[7] PwC, Asset Management 2020, A brave new world, 2014
[8]https://www.ft.com/content/35bbbef6-20a8-11e9-b126-46fc3ad87c65
[9] PwC, Asset & wealth management revolution, pressure on profitability, octobre 2018