Relever le défi de l’ESG

22/03/2022

L’ESG est un sujet de plus en plus prégnant dans la finance, source de préoccupation pour les gestionnaires d’actifs comme pour les investisseurs. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un sujet nouveau, nous sommes aujourd’hui face à une accélération de cette tendance : l’implémentation de la réglementation SFDR et la multiplication de fonds mettant en œuvre des stratégies clairement identifiées et labellisées en sont les preuves.

Afin de mieux comprendre ces bouleversements et pour mieux accompagner ses clients, en plus de ses contacts réguliers avec ses derniers, Société Générale Securities Services (SGSS) a mené début 2021 une série d’interviews auprès d’une trentaine d’acteurs buy-side et de plusieurs consultants des principaux centres financiers d’Europe continentale1.

Cette enquête s’adressait tant aux gestionnaires de fonds soumis aux directives UCITS2 qu’aux acteurs alternatifs ou « private markets » ainsi qu’aux investisseurs institutionnels. Les résultats confirment le sentiment des clients, révélateurs de cet inévitable bouleversement du monde de la finance, et mettent aussi en évidence les défis que nous allons tous devoir relever.

Le premier constat que nous pouvons faire est que pratiquement tous ont déjà mis en place plusieurs critères de durabilité des investissements dans leurs différentes stratégies. Ce premier point nous démontre, s’il en était encore besoin, que l’objectif du régulateur d’inciter les parties prenantes à intégrer les critères ESG3 dans les différentes politiques de gestion est bel et bien compris.

Cependant, les choix stratégiques des sociétés de gestion vont bien au-delà, accompagnant également une prise de conscience des investisseurs sur la nécessité d’intégrer les critères de durabilité dans leurs investissements, suivant ainsi l’évolution de notre société tout entière. Nous assistons alors à une multiplication de fonds classés Article 84 ou Article 95 au sens de la réglementation SFDR6, pouvant atteindre suivant les marchés près d’un tiers des actifs sous gestion. Soulignons que ces chiffres ne cessent d’augmenter.

Malgré tout, ce bouleversement se heurte à la difficulté d’intégrer des données ESG de qualité dans les chaînes opérationnelles des gestionnaires. La donnée est devenue la clé de la réussite de cette transition. Si pour les fonds UCITS, il existe aujourd’hui des fournisseurs de données ESG (avec des spécificités par thèmes, types de valeurs ou zones géographiques), celles-ci ne sont pas toujours vues ni considérées par les gérants comme fiables et incontestables quant à la stratégie ESG choisie. Cette situation rend particulièrement difficile, voire impossible, un calcul ou une classification fiable de leurs fonds d’investissement selon ces critères.

Par ailleurs, il n’existe pas non plus de règles établies à même de compiler ces critères non financiers. Cela pousse les sociétés de gestion, dans l’attente d’une généralisation ou normalisation, à vouloir maîtriser les algorithmes de calcul de leurs performances non financières.

Il s’agit donc bien à la fois d’un manque de données fiables et d’un manque de règles de calcul établies, mais pas du tout d’un manque de solutions techniques disponibles. A titre d’exemple, lorsque dans le cadre de son offre « front-to-back », SGSS propose aux gérants d’inclure des règles ESG dans les contrôles pre-trade, ces derniers sont encore réticents à les mettre en place. En effet, ils craignent de subir un blocage de leurs transactions, faute d’une information non financière difficile à valider. Cette situation contraint les gestionnaires d’actifs à préférer des traitements ex post plutôt qu’une solution ex ante, qui briderait les décisions de gestion.

Si, comme nous l’avons vu pour les fonds UCITS, la donnée peut être un frein à la généralisation de l’ESG, la situation est encore plus problématique pour les fonds alternatifs. En effet, ces derniers doivent faire face à une quasi-inexistence de données. Cela amène les sociétés clientes à se transformer en collectrices de données. A cette fin, les gérants d’actifs, contraints de contacter directement les commissaires aux comptes, les bureaux d’analyses techniques ou les directions des structures investies - ce qui n’est pas leur cœur de métier - se heurtent au manque d’outils pour enregistrer et comparer ces données.

En résumé, la tendance générale du marché indique que si l’ESG est clairement à l’agenda 2022 des gestionnaires d’actifs, pour beaucoup d’entre eux, la prise en compte des critères d’investissement durable constitue encore un défi révélant la fragilité d’un modèle opérationnel parfois poussé dans ses derniers retranchements.

C’est là que réside tout l’enjeu pour les prestataires de services tels que SGSS : développer et proposer des solutions ESG facilitant la vie des gérants d’actifs en leur permettant de se concentrer sur leur cœur de métier qu’est la sélection des bons investissements. C’est la raison pour laquelle l’intégration de données ESG au sein des «  Portfolio Management System » (outil de gestion de portefeuille), et plus largement dans tous les traitements de contrôle et de middle office, est un enjeu clé dans la stratégie de développement des produits des banques et des services titres.

Cependant, le manque d’uniformité et la difficulté d’obtention des données évoqués précédemment sont aujourd’hui un frein que les acteurs vont devoir lever. Au-delà de la réglementation, il va falloir passer d’un stade déclaratif, de label marketing, à une normalisation de la preuve. Cette dernière devra passer par une importante uniformisation des données sources, mais aussi par la normalisation des algorithmes de calcul et du  reporting réglementaire « vert ». Cela permettra ainsi à chaque gérant de comparer sa stratégie et ses résultats ESG à ceux de ses pairs. C’est ce qu’attendent les investisseurs et c’est vraisemblablement ce qu’attendait le régulateur en écrivant SFDR.

C’est le défi que SGSS mène aujourd’hui avec ses clients : intégrer les données ESG dans tous les processus métiers de la banque, des contrôles pré-transactionnels, aux calculs de valorisation, jusqu’aux contrôles dépositaires. Si en raison des éléments évoqués précédemment personne n’a encore atteint ce but ultime, cette quête est aujourd’hui incontournable pour quiconque souhaite accompagner les gestionnaires d’actifs dans ce qui pourrait être une véritable nouvelle dynamique du marché transformant celui-ci de manière durable.

Si effectivement l’ESG est un sujet de plus en plus marquant dans la finance, sa mise en oeuvre restera ainsi à l’agenda de la transformation des gestionnaires d’actifs, des banques ainsi que des investisseurs dans les mois et les années à venir.

Par Guillaume Roch, Head of Business Development, Société Générale Luxembourg

Article paru en mars 2022 dans l’AGEFI Luxembourg. Edition en ligne sur ce lien.

1 https : //www.securities-services.societegenerale.com/fr/ insights/views/news/ investissement-durable-histoire-accelere/
UCITS : Undertakings for Collective Investments in Transferable Securities, à savoir Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM)
3 ESG : critères environnementaux, sociaux & de gouvernance pris en compte pour mesurer l’intégration des problématiques de développement durable au sein des entreprises.
Article 8 : fonds mettant en avant des critères ESG dans leurs stratégies d’investissement
Article 9 : fonds ayant un objectif de développement durable
6 SFDR : sustainable finance disclosure regulation, nouvelle règlementation obligeant les sociétés de gestion à produire un reporting par fonds sur l’intégration des critères de développement durable dans leurs stratégies d’investissement