La mise en œuvre des critères ESG est le nouveau défi pour les fonds

21/03/2023

Aujourd’hui, les gestionnaires d’investissement doivent prendre en compte les critères ESG avant de sélectionner un investissement. Si le concept semble évident, mettre la théorie en pratique devient un défi de taille, tant pour les OPCVM* que pour les fonds alternatifs.

Afin de mieux comprendre une situation qui pose un véritable problème à tous les gestionnaires d’investissement qui tentent de mettre en œuvre les critères ESG, il est nécessaire de clarifier (une nouvelle fois) ce qu’est l’ESG et comment les fonds peuvent intégrer ces concepts dans leur politique d’investissement.

Malheureusement pour le grand public, ainsi que pour le monde politique et la société, la plupart du temps, seul l’aspect environnemental « E » est pris en compte, reléguant les dimensions « sociales et de gouvernance » au rang de critères accessoires, quand elles ne sont pas totalement oubliées. L’ESG, loin de se limiter uniquement à l’écologie ou à la gestion durable des ressources, est bien plus que cela. C’est le cas en Europe occidentale où les médias mettent clairement l’accent sur le phénomène, mais cette tendance ressort plus nettement dans d’autres régions du monde. Même si cela peut paraître évident, il importe par exemple de souligner que la croissance durable, les droits de l’homme ou l’énergie propre n’ont pas la même signification pour un agriculteur en Malaisie et pour un chauffeur de taxi à New York.

Dans un monde globalisé, les fonds d’investissement doivent respecter des critères ESG mondiaux et, pour ce faire, il est nécessaire de s’entendre sur une définition commune, qui puisse s’appliquer dans les pays développés ou sur les différents marchés émergents. Cela complique clairement la tâche des gestionnaires d’investissement qui entendent cibler des investisseurs du monde entier. Ils doivent pouvoir s’appuyer sur des définitions communes.

Les Objectifs de développement durable des Nations Unies peuvent être considérés comme la première définition incontestable. Ils comprennent 17 objectifs différents à atteindre, comme « Faim “zéro” », « Éducation de qualité » ou « Égalité entre les sexes ». Bien que ces objectifs soient connus, simples et facilement consultables, classer chaque investissement selon 17 critères distincts peut se révéler difficile pour un fonds…

Une deuxième définition disponible, fournie par la norme internationale ISO 26000, définit l’ESG à travers sept piliers, tels que les « droits de l’homme », la « protection des consommateurs » ou les « pratiques de travail ». On pourrait penser qu’il est plus facile de classer un investissement selon sept variables. Malheureusement, à l’instar de la définition des Nations Unies, chaque pilier se décline en au moins cinq à sept sous-domaines, ce qui se traduit au final par une complexité beaucoup plus importante. En outre, la norme ISO 26000 n’est pas approuvée par tous les pays, notamment par le Luxembourg, l’Inde ou les États-Unis qui ont refusé de la ratifier pour privilégier des définitions nationales. Il peut donc être difficile de s’appuyer sur cette norme pour un fonds investissant ou domicilié dans ces pays.

D’autres définitions de l’ESG existent, mais aucune d’entre elles ne serait moins complexe à mettre en œuvre pour un fonds d’investissement. Quelle que soit la définition que l’on adopte, les gestionnaires d’actifs doivent classer chaque investissement et y attribuer un score sur la base de nombreux critères. Comment peuvent-ils évaluer 17 critères ou davantage pour estimer l’impact réel d’un actif alors qu’il n’existe pas de normes ni d’algorithmes ou de méthodologies transparents pour classer l’ensemble des activités, des sociétés et des actifs ?

Compte tenu de ces contraintes, de nombreux gestionnaires d’actifs font valoir l’article 8 ou 9 du SFDR1 et décident de mettre au point leur propre méthodologie. Cette méthodologie de classement peut être partagée et auditable, afin de faire connaître le processus de notation ESG et les données utilisées. Toutefois, même si la méthodologie est bien conçue, partagée et que toutes les données sont exactes, cela n’empêche pas les parties externes d’effectuer des contre-analyses, à l’aide d’autres données et d’autres méthodologies et d’aboutir ainsi à des conclusions différentes.

Cette situation illustre bien le problème de la qualité des données auquel nous sommes tous confrontés lorsque nous essayons de classer les investissements ESG. Malheureusement, la plupart du temps, les données n’existent pas ou, lorsqu’elles sont disponibles, peuvent être très incomplètes et facilement contestées. C’est déjà le cas pour les actifs cotés, mais cela est encore plus problématique pour les investissements alternatifs dont les données sont réellement insuffisantes sur les sujets ESG, ce qui complique la tâche des gestionnaires d’actifs lorsqu’ils souhaitent classer leurs investissements.

Les gérants d’actifs sont-ils dans une impasse avec l’ESG ? Non, l’objectif est clair. Nous devons tous aller de l’avant, en suivant une approche pragmatique et en procédant étape par étape.

C’est le défi que Société Générale Securities Services relève aujourd’hui avec ses clients : intégrer les données ESG dans l’ensemble de ses processus métier, du contrôle prénégociation aux calculs de valorisation et aux contrôles des dépositaires. En raison des facteurs évoqués ci-dessus, personne ne semble encore avoir atteint cet objectif final. Toutefois, cette quête est aujourd’hui essentielle pour tous ceux qui souhaitent accompagner les gestionnaires d’actifs dans cette démarche qui pourrait réellement insuffler une nouvelle dynamique au marché et le transformer de manière durable.

Ce sera un processus long qui modifiera l’ensemble du secteur. Que nous soyons gestionnaires d’actifs, prestataires d’asset servicing, régulateurs ou investisseurs, nous devons tous repenser nos modes de fonctionnement. Nous devons être en mesure de classer tous les critères ESG et de « calculer » l’impact de chaque sous-investissement détaillé. Aujourd’hui, en tant que prestataire d’asset servicing, nous fournissons à nos clients la capacité d’insérer des données ESG dans leurs outils de contrôle de la conformité des investissements pour leur permettre d’étayer leur choix d’investissement.

Les entreprises, les marchés, les acteurs financiers mondiaux et les régulateurs peuvent-ils tous s’entendre sur un ensemble commun de données vérifiables ? Peuvent-ils tous convenir d’algorithmes et de méthodologies communs pour définir et classer les actifs et les entreprises en fonction de critères ESG ? Sans doute, mais cela constitue probablement un objectif à long terme. Le chemin sera long pour nous tous. En attendant, nous devons aller de l’avant en franchissant petit à petit des étapes essentielles.

Aujourd’hui, chaque gestionnaire d’actifs tient compte de l’ESG dans le cadre de sa stratégie d’investissement. La signification, l’impact et le classement de tous les critères varieront peut-être d’un gestionnaire à l’autre, mais il s’agit déjà clairement d’un changement considérable dans notre secteur.

Guillaume Roch, Head of Business Development, Société Générale Securities Services Luxembourg

Article paru dans Funds Europe et Paperjam.

*Organisme de placement collectif en valeurs mobilières
1Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers