Le Luxembourg : bientôt leader européen des fonds alternatifs ?

30/01/2024

Placé parmi les leaders européens des services aux fonds d’investissement traditionnels, le Luxembourg réunit d’ores et déjà de nombreuses conditions pour exploiter le potentiel que représente le marché des fonds alternatifs.

Leader européen et numéro 2 mondial en termes d’actifs nets de fonds domiciliés, le Luxembourg compte 5 200 milliards d’euros d’actifs sous gestion, soit 26,2 % des parts de marché du périmètre de l’Union européenne (UE) en 2023. Sur le marché mondial, les Etats-Unis comptent 31 800 milliards d’euros d’actifs gérés soit 49,4 % contre 8,1 % pour le Luxembourg1.

Une place financière compétitive grâce à son expertise

L’atout du Luxembourg dans le domaine de la gestion d’actifs repose sur une offre étendue de services aux fonds, que ce soit à destination des gérants d’actifs traditionnels ou d’actifs alternatifs. En effet, si la fonction de gérant de portefeuille est majoritairement externalisée dans un pays de l’UE ou un pays tiers, l’écosystème luxembourgeois permet aux gestionnaires d’investissements au niveau mondial de profiter de l’expertise des prestataires de la Place. Elle regroupe l’ensemble des services liés à l’administration des fonds – services de domiciliation ou corporate, de comptabilité et de calcul de valeur liquidative, de teneur de registre et de dépositaire – et un arsenal juridique complet, tel que la société en commandite spéciale pour le Private Equity et la structure FIAR (fonds d’investissement alternatif réservé), lancées en 2016.

La compétitivité du Luxembourg, aux yeux des gérants, vient également de sa masse critique qui lui permet d’absorber facilement les créations de fonds et de gérer la diversité des investissements administrés.

Fonds de Private Equity : la position du Luxembourg

Si on se focalise davantage sur la gestion alternative, le positionnement du Luxembourg n’est pas tout à fait le même : en termes d’actifs sous gestion, les fonds domiciliés se répartissent à 85 % en UCITS2 et 15 % en non UCITS alors qu’au niveau européen, la proportion est de 60/40. En termes de part de marché, le Luxembourg, la France, l’Irlande et le Royaume-Uni sont plus ou moins à égalité, derrière l’Allemagne3. Cette dernière compte en effet un nombre important de fonds immobiliers ainsi que de fonds de stratégie classique mais commercialisés uniquement à une clientèle professionnelle sous l’AIFMD4.

Cette situation s’explique en partie par un cercle relativement fermé d’investisseurs avertis – institutionnels ou professionnels – dans les fonds alternatifs et qui ne justifierait pas une commercialisation transfrontalière. En effet, pour les fonds alternatifs, la proximité géographique avec les investisseurs potentiels semble être un critère important pour les gérants sur leur choix du lieu de domiciliation. Si on remonte un peu dans l’histoire, ce qui a fait le succès de la Place locale, c’est la création des OPCVM5 avec sa première directive du 20 décembre 1985. Cette directive avec UCITS III, IV et V permet à tout OPCVM d’être vendu dans tous les pays de l’Union européenne. En revanche, l’AIFMD de 2011, transposée à Luxembourg en juillet 2013, ne permet pas le passporting des fonds alternatifs en Europe : un Fonds d’investissement alternatif (FIA) luxembourgeois doit alors obtenir l’accord préalable du pays dans lequel il veut vendre ses parts ou actions.

Au centre de l’Europe, la possibilité d’opérer dans différentes langues constitue une facilité non négligeable du Luxembourg. La CSSF6 accepte en effet de recevoir tout dossier d’agrément de fonds en allemand, en français et en anglais. Et pour que l’alternatif soit un véritable succès en local, il faudrait que le FIA puisse être commercialisé comme les UCITS, et soit également ouvert à la clientèle dite « de détail », ce qui nécessiterait une vraie politique de distribution transfrontalière.

Les opportunités de la Place

La réglementation ELTIF 27 nous paraît une opportunité importante pour le Luxembourg, avec la suppression du seuil d’investissement pour attirer plus d’investisseurs retail, qui nécessitera l’activation du passeport européen. Notons que déjà plus de la moitié des ELTIFs actuels sont domiciliés ou administrés au Luxembourg, malgré le succès relatif de cette forme. Toutefois, certaines contraintes réglementaires telles que l’interdiction de rachat pendant cinq ans ne favoriseraient pas ELTIF 2 en tant que vrai véhicule d’investissements alternatifs populaire.

Au-delà des marchés domestiques en FIA, l’Irlande constitue le concurrent direct du Luxembourg en tant que fournisseur pan européen de services aux fonds. Elle compte presque 3 000 milliards d’euros d’actifs domiciliés en UCITS et environ 900 milliards d’euros d’actifs domiciliés en fonds non UCITS ou FIA, et donc 19,3 % des fonds européens8. Si ses actifs sous gestion globaux sont encore en-dessous de celui du Luxembourg, l’Irlande atteint le même niveau pour les FIA. Un des grands avantages de l’Irlande est sûrement sa proximité avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis par sa culture anglo-saxonne, la même langue et le même cadre juridique donnant lieu à une approche similaire pour mettre en place des structures de fonds d’investissement (Unit Trust par exemple).

Actuellement, 56 % des autorisations mondiales de distribution de fonds à l’étranger sont accordées à des fonds luxembourgeois9. Dans ce contexte, le Luxembourg gagnerait à être plus attractif vis-à-vis de la clientèle européenne et asiatique, en s’appuyant sur la performance de son écosystème, reconnue dans le monde entier.

Article publié dans Paperjam.

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Qing Yang
Responsable des Services aux Fonds alternatifs, Société Générale Securities Services au Luxembourg


1 Sources : CSSF et EFAMA (European Fund and Asset Management Association)
2 UCITS : Undertakins for Collective Investments in Transferable Securities, la directive qui encadre le fonctionnement des organismes de placement collectif en valeurs mobilières sur le marché unique de
l’Union européenne

3 Source : EFAMA (European Fund and Asset Management Association)

4 AIFMD : Alternative Investment Fund Managers Directive, directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatif

5 OPCVM : Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières

6 CSSF : Commission de Surveillance du Secteur Financier

7 ELTIF : The European long-term investment fund, fonds européen d’investissement à long terme. La deuxième version de la réglementation a été publiée en 2023.

8 Source : EFAMA (European Fund and Asset Management Association)

9 Source : PwC