Fonds alternatifs : quelle évolution possible ?

15/01/2020

Le premier règlement européen sur les fonds d'investissement alternatifs a été introduit il y a 8 ans. Son effet positif est aujourd'hui notable. Que faut-il attendre dans un avenir proche en termes de liquidité et de protection des investisseurs dans ce domaine ? Qu'en est-il de l’évolution du rôle des dépositaires ? Et la montée en puissance de la finance verte ? Autant de changements en perspective.

La crise financière de 2008 a eu pour conséquence la mise en place d’une série de directives et de règlements au sein de l’Union Europe (UE). Le monde alternatif et celui des fonds d’investissement en particulier a connu sa première réglementation européenne en 2011, la directive AIFM (AIFMD*) entrée en vigueur en juillet 2013 et dont UCITS V* s’est largement inspiré.

Historiquement, les termes « investissement alternatif » ou de « fonds d’investissement alternatif » faisaient plutôt référence aux Hedge Funds. Mais le régulateur européen a intégré dans AIFMD les champs non couverts par la directive UCITS. C’est ainsi que les fonds immobiliers et les fonds de private equity sont venus compléter la liste ou la gamme des fonds alternatifs soumis à cette première directive AIFM.

Huit ans après la création d’une seule et unique réglementation européenne pour ces OPC et six ans après sa transposition en droit local, il est intéressant de constater un effet positif sur l’industrie des OPC.

Bien que décriée lors des premières négociations, AIFMD a été un véritable succès. Elle a en effet permis de créer de nouveaux métiers et offert des opportunités de croissance. A l’instar de Société Générale Securities Services, de nombreuses banques et leurs lignes du métier titres se sont lancées activement dans le monde de l’investissement alternatif. Elles ont alors connu une croissance de leurs actifs sous administration et en dépôt, ainsi que de leurs personnel et infrastructures.

En Europe, les actifs de ces fonds alternatifs ont augmenté de près de 70% depuis 20131, dépassant la barre des 6 000 milliards d’euros. Le succès est tel que certains verraient bien aujourd’hui ces OPC du monde alternatif rattraper très vite les UCITS en termes d’actifs nets.

Plus de liquidité pour les fonds alternatifs ?

Les fonds immobiliers et de private equity offrent un investissement diversifié, plus attractif et dynamique en termes de performance par rapport à leurs homologues du monde UCITS. Pour le moment et jusqu’à ce jour, ces OPC sont exclusivement réservés à des institutionnels. Le grand public, en tant qu’investisseur particulier, n’a pas accès aux fonds de private equity ni aux fonds immobiliers soumis à la directive AIFM. Sous réserve d’une adaptation de ces produits et du marché, ces investissements pourraient être rendus accessibles aux particuliers.

Ceci étant, une nouvelle étape est à franchir. Elle concerne la liquidité ou, plus précisément, la possibilité d’offrir aux investisseurs, le rachat de parts/actions à une fréquence de valeur liquidative proche de celle des fonds UCITS, même si pour un fonds immobilier ou détenant des actifs non cotés, cela demeure plus compliqué.

Un autre élément de comparaison avec la directive UCITS réside dans le fait qu’AIFMD est une directive à destination des gérants du fonds alternatif et non une directive qui réglemente le produit financier. Le gérant, ou la société de gestion, doit être autorisé(e) à commercialiser son fonds d’investissement à chaque autorité locale compétente.

Le passeport UCITS datant de 1985, il a au fil des années facilité la distribution transfrontière des UCITS. Il serait intéressant que les fonds alternatifs puissent bénéficier d’un passeport de distribution identique, avec plus de flexibilité quant à l’enregistrement auprès du régulateur domestique.

A quoi s'attendre dans un futur proche ?

Depuis 2012, l’UE a lancé un certain nombre de réglementations nécessaires pour renforcer la protection de l’investisseur et mieux réglementer l’ensemble des acteurs et activités de l’industrie financière. L’objectif majeur du projet de l’Union des Marché des Capitaux était de créer plus de croissance et d’emplois en Europe. Malheureusement, le résultat constaté est mitigé dans la mesure où la croissance escomptée n’est pas toujours au rendez-vous. Nous connaissons depuis quelques années une période où les taux d’intérêt sont proches de zéro, voire négatifs, et le citoyen européen n’investit, pour autant, pas plus dans les produits financiers depuis la crise financière de 2008. L’investisseur a toujours une crainte du risque et les mesures entreprises ne l’ont pas encore totalement rassuré.

A cela viennent s’ajouter les nouvelles et futures réglementations d’ordre fiscal comme ATAD II*, entrée en vigueur au 1er janvier 2019 ou DAC6* dont la mise en application en droit local est fixée à août 2020. Elles pourraient redessiner la carte économique de l’UE et pénaliser la croissance à cause des coûts supplémentaires engendrés pour se mettre en conformité.

Après AIFMD, le monde de l’alternatif doit maintenant conjuguer les enjeux réglementaires aux aspects fiscaux.

Qui sera le gagnant de ces nouvelles règles de transparence fiscale ? Le Luxembourg saura-t-il rester compétitif et garder sa position de leader de fonds européens ou, à son insu, l’épicentre de l’industrie européenne des fonds d’investissement alternatifs pourrait-il sortir des frontières de l’UE ?

Un des atouts majeurs du Luxembourg reste sa capacité à distribuer ses fonds d’investissement en Europe et hors d’Europe. Cela, vraisemblablement, devrait perdurer.

Le métier du dépositaire de demain

Si AIFMD a obligé les fonds d’investissement alternatifs européens à désigner un dépositaire dans le pays du domicile du fonds, on peut se demander comment ce métier de dépositaire évoluera. Les grandes banques dépositaires ont investi énormément en expertise humaine et technique pour agir comme dépositaire de ces autres actifs qui ne sont pas des instruments financiers et qui sont conservés en dehors de la banque dépositaire.

D’autre part, AIFMD a permis l’émergence en Europe et plus particulièrement au Luxembourg de dépositaires n’ayant pas le statut d’établissement de crédit, mais celui de professionnel du secteur financier pouvant, sous certaines conditions, agir pour contrôler, superviser et refléter ces autres catégories d’actifs dans leurs propres livres.

L’accroissement des coûts d’implémentation et de gestion courante – nécessaire pour la mise en conformité avec les réglementations passées, présentes et à venir – nous laissent penser qu’il y aura probablement une diminution de banques dépositaires au Luxembourg, au nombre de 642 à ce jour.

Une nouvelle clé de répartition du business des OPC verra peut-être également le jour avec d’un côté les banques dépositaires de fonds alternatifs ayant le statut d’établissement de crédit et de l’autre, les acteurs ayant le statut de Professionnel du secteur financier au Luxembourg et pouvant agir comme dépositaire. Ces derniers doivent, quoiqu’il en soit, faire appel à une banque pour la conservation des liquidités et d’instruments financiers ainsi que le financement du crédit. Reste à imaginer quand et comment cette transition se ferait.

Aujourd’hui, le dépositaire d’un fonds d’investissement alternatif ou d’un fonds UCITS est établi dans le pays du domicile du fonds. Il dispose en local d’une structure physique lui permettant d’exercer son métier, son rôle et ses responsabilités. Le gérant et la société de gestion sont logés à la même enseigne sur le sujet de la gestion de risques et/ou de gestion de portefeuille. La différence réside dans le fait que le gérant n’est pas obligé d’élire domicile dans la juridiction du fonds.

Sans attendre UCITS VI, le passeport dépositaire perdrait tout son sens si un nouvel élément tel que la Blockchain ou une technologie similaire, était pris en considération.

Cette évolution rapide des nouvelles technologies impacte déjà et impactera de plus en plus le métier de dépositaire. Assisterons-nous à une (r)évolution du cœur même de métier du dépositaire ?

Arrivée de la finance verte

Enfin, si les fonds d’investissement d’alternatif attirent de plus en plus les investisseurs européens, l’arrivée du vert devrait également bousculer la finance traditionnelle.

Dans ce domaine, Bruxelles a décidé de créer une taxonomie pour l’investissement durable et responsable et inciter entre autres les gérants d’UCITS et de fonds alternatifs à considérer de plus en plus ce critère ESG dans leurs stratégies d’investissement.

A ce jour, les discussions sont difficiles et progressent lentement. L’objectif de la Commission Européenne est d’aboutir, à l’horizon fin 2021, à la mise en place effective de cette taxonomie réglementaire dédiée à la finance durable et ses critères ESG.

Dans cette attente, il convient de s’accorder sur une liste de produits financiers et de secteurs éligibles, proposer et/ou créer un indice fiable et adapté à cette finance verte.

Quatre années après la COP 21 et son accord obtenu à Paris sur le climat, où en sommes-nous aujourd’hui concrètement ? Bien que de toute évidence le chemin soit encore long, on peut espérer que la demande pressante des particuliers ou des investisseurs institutionnels de plus en plus sensibles à cette finance verte et au réchauffement climatique pousse les gérants d’actifs à développer des produits verts, en marge de l’investissement alternatif.

 

Glossaire

AIFM: Alternative Investment Fund Managers
ATAD: Anti-Tax Avoidance Directive
COP 21: Conférence sur le climat
DAC6: Directive on Administrative Contribution 6
ESG: Environmental, Social, Governance
OPC: Organisme de Placements Collectif
UCITS V: Undertakings for Collective Investments in Transferable Securities V

 


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