« S’engager et se transformer pour l’avenir de la place financière »

08/11/2022

Mathieu Maurier, CEO de Société Générale Securities Services (SGSS) au Luxembourg, évoque les défis qui attendent les activités d’Asset Servicing au Luxembourg. Pour lui, à l’instar des multiples projets de transformation que mènent ses équipes, l’industrie des fonds luxembourgeoise doit repenser son modèle opérationnel, pour gagner en agilité face aux grandes tendances à l’œuvre, afin de maintenir sa position de leader mondial.

L’année 2022 a été particulièrement marquée par l'incertitude sur les marchés financiers. Quel regard portez-vous sur les mois passés ?

Au Luxembourg, notre activité se place au service des investisseurs et des gestionnaires de fonds d’investissement. L’année 2022, en effet, est marquée par d’importants bouleversements au niveau macro-économique. Ces évolutions, comme le retour de l’inflation, ont un impact sur les politiques d’investissement de nos clients. Cela se traduit par une réallocation des investissements sur d’autres classes d’actifs. Notre rôle est de les accompagner, de les soutenir dans le déploiement de nouvelles stratégies, de nouveaux projets qui tiennent compte du contexte actuel. Notre capacité à accompagner ces changements, à servir les investisseurs quelle que soit leur stratégie d’investissement, à aller avec eux vers des actifs listés, non listés ou encore émergents pour aller chercher de la croissance, est révélatrice de la résilience de nos activités au cœur de la place financière luxembourgeoise.

Dans un contexte de transformation, opérant à de nombreux niveaux, quels sont les grands défis à venir pour vos métiers ? Comment les appréhendez-vous ?

Le principal défi qui nous occupe, et qui concerne l’ensemble de la place luxembourgeoise, a trait aux transformations que nous devons opérer. Les modèles opérationnels actuels résultent de ce qui a été mis en place dans les années 80 et 90, avec le développement d’une expertise autour du passeport européen, et qui a permis à Luxembourg de se hisser comme premier centre de fonds transfrontaliers au monde1. Nous sommes au carrefour d’une transformation globale, déjà bien engagée au niveau de SGSS. Elle concerne la refonte de nos processus opérationnels, de nombreux changements de plateformes technologiques avec en corollaire une meilleure agilité autour de la gestion des données. L’enjeu est de faire évoluer le modèle actuel, qui a fait ses preuves au fil des 30 à 40 dernières années, pour tirer profit des possibilités qu’offre ce renouveau technologique et relever les défis de demain. Plus que jamais, nous devons évoluer pour permettre à nos clients, les gestionnaires d’investissements, les distributeurs de fonds, de se concentrer sur l’essentiel, à savoir l’allocation d’actifs, la mise en œuvre de politiques d’investissement, la maîtrise des risques et la commercialisation.

Un des enjeux d’avenir concerne la finance durable. Comment considérez-vous ces développements ?

La transformation que nous évoquions doit nous permettre d’être plus agiles et d’accompagner certaines grandes tendances, comme celle de la finance responsable.

Nous concernant, l’approche s’articule autour de quatre piliers principaux :

  1. Le premier réside dans l’accompagnement de nos clients par rapport au reporting réglementaire, pour leur assurer qu’il est conforme aux exigences définies par la réglementation SFDR2.

  2. Le deuxième consiste en la mise à disposition d’une offre B2B – CrossWise –, donnant notamment accès à des prestataires de données, pour permettre aux gérants d’actifs de mieux appréhender ces enjeux à travers la gestion de portefeuille, d’évaluer leurs actifs et leur politique d’investissement suivant les considérations ESG3.

  3. Troisièmement, en tant que banque dépositaire, nous devons aussi intégrer cette composante à nos opérations de contrôle des politiques d’investissement d’actifs.

  4. Le quatrième pilier concerne les données, avec la nécessité d’évaluer les aspects ESG au niveau des actifs alternatifs non-côtés, pour lesquels un travail doit continuer à être fait en matière de transparence.

On parle ici d’une nouvelle ère, pour laquelle beaucoup reste à construire. Hier, la finance durable était considérée comme un segment spécifique d’un vaste univers d’investissement. Désormais, la finance est réputée comme devant être durable et responsable par principe.

Le Luxembourg est moteur de ce changement. Mais ce n’est pas suffisant. Pour rester à la pointe, défendre cette position de leader dans ce domaine, il est essentiel, au niveau de la place, de travailler avec nos pairs, l’autorité de contrôle locale – la CSSF4 – et avec l’ALFI5, pour bien appréhender ces évolutions.

On parle aussi de plus en plus d'actifs numériques. Quels sont les challenges identifiés de ce côté ?

Notre vocation est d’accompagner l’ensemble des gestionnaires de fonds dans la mise en œuvre de leurs stratégies d’investissement, quels que soient les actifs envisagés. Si l’on parle d’actifs numériques, difficile de dire de quoi sera fait demain. Les acteurs sont encore dans l’expérimentation. Il nous appartient cependant de bien comprendre la nature de ces vecteurs d’investissement, afin de pouvoir appréhender cette classe d’actifs émergente dans le cadre de nos missions. Nous sommes aujourd’hui, notamment à travers le partenariat que nous avons noué avec METACO, via notre filiale Société Générale – FORGE, très bien positionnés sur ces sujets. Et très récemment, SGSS a annoncé une nouvelle offre de prestations aux sociétés de gestion qui souhaitent développer des gammes de solutions investies dans les actifs numériques. SGSS, en France, propose désormais aux asset managers qui travaillent avec les crypto-monnaies d’assurer le rôle de dépositaire de fonds, valorisateurs et gestionnaire du passif. Cette nouvelle offre permet aux sociétés de gestion, de façon simple et adaptée d’enrichir leur offre dans le cadre régulé européen.

De plus, la technologie DLT6, qui sous-tend ces actifs numériques, présente aussi un réel intérêt pour soutenir la refonte de notre modèle opérationnel, comme nous l’évoquions.

Comment l'industrie des fonds luxembourgeoise doit-elle évoluer pour préserver sa position et sa compétitivité dans un marché global hautement concurrentiel ?

Il est important de nous demander aujourd’hui où l’on souhaite que soit positionnée notre industrie au service des fonds dans dix ans. Si cette année 2022 est particulière, sur la durée, on sait que les produits d’investissement connaîtront encore une croissance importante. Pour maintenir notre position de leader, au regard des changements et des tendances qui s’expriment à travers l’industrie, l’ensemble des acteurs de la place financière luxembourgeoise ne doivent pas verser dans la complaisance. A l’instar de la transformation que nous menons, la place financière doit considérer les grands enjeux, ne pas craindre le changement. Au contraire, il faut continuer à faire évoluer les compétences, continuer à innover, se doter de nouvelles capacités pour accompagner nos clients durablement. Il faut s’engager pour l’avenir, en considérant les grandes tendances, même si cela implique d’y aller pas à pas. 

Article paru le 29 septembre dans Luxtimes.

1Source : PWC 2022 (données fin déc 2021)
2Sustainable Finance Disclosure Regulation

3Environnemental, Social et Gouvernance

4Commission de Surveillance du Secteur Financier

5 Association Luxembourgeoise des Fonds d’Investissements

6Distributed Ledger Technologies - Technologies de registres distribués