Banques et fintech : rivaux ou meilleurs amis ?

23/06/2020

Les fintech, ces start-up de la finance, sont apparues il y a deux décennies tout au plus, faisant face à un système bancaire déjà multi-centenaire.

Les relations entre les banques, groupes d’assurance et de gestion d’actifs et les start-up de la finance ont, en quelque sorte, suivi les cycles des passions humaines. Indifférentes à ces « moustiques » à l’origine, les établissements traditionnels n’ont guère tardé à montrer une certaine irritation devant leur audace, suivi d’un réel intérêt pour leurs innovations technologiques et d’usage. A certains égards, la situation actuelle s’apparente parfois à un sentiment amoureux, tant le thème « fintech » semble porteur, notamment parmi les jeunes générations.

La première vague de la fintech a, en réalité, concerné moins la technologie que les usages innovants (nouveaux modes de paiement, crowdfunding par exemple) et les parcours clients (« UX »). Les banques ont montré un net intérêt pour ces innovations, d’autant que cette première vague a concerné largement des offres B2B2C. Ceci s’est traduit par un nombre élevé de partenariats de toute nature : accords de distribution (en marque blanche ou propre), délégation de process, etc. On a également assisté à un nombre élevé de prises de participations dans les fintech, voire des acquisitions qui, il faut le souligner, se sont globalement bien passées.

Il ne faut toutefois pas dresser un tableau trop idyllique de ces coopérations qui ont aussi parfois suscité certains malentendus et frustrations. Pour résumer, disons que les fintech ont parfois sous-estimé la complexité des grandes organisations et, disons-le, leur lenteur de réaction qui tranche avec l’extrême réactivité des sart up. De leur côté, les banquiers ont pu être surpris du faible formalisme de leurs nouveaux partenaires. Un choc de culture en quelque sorte.

Aujourd’hui, une forme de maturité dans la relation a été atteinte. Elle se manifeste de différentes façons.

Par la multiplicité des modes d’interactions tout d’abord : développement de pilotes communs, partenariats tripartites, programmes d’accélération, incubation, etc.

Par l’élargissement croissant des thèmes de coopération ensuite : RegTech, KYC, gestion des risques, productivité, ainsi que des nouveaux métiers et segments de clientèles concernés : CIB, Wealth Management, SMEs, etc.

A noter que l’Asset Management a peu concerné la première vague, principalement dédiée au Retail Banking. Cela n’est plus vrai aujourd’hui, avec le développement de services divers : univers du gérant, outils réglementaires et de risk management, conseil en investissement, etc.

Enfin les établissements traditionnels ont appris à accepter que les fintech pouvaient être à la fois leurs partenaires et leurs concurrents.

En effet, la première vague de la fintech a concerné principalement des services spécifiques, « verticaux » (paiement, financement, conseil en investissement, etc.), dédiés exclusivement à la clientèle de particuliers, souvent en mode B2B. Les modèles tendent désormais de plus en plus vers le B2C, des plateformes proposant plus de services, voire des néo-banques, s’attaquant à de nouveaux segments : clientèle patrimoniale, PME, etc.

De ce point de vue les fintech redeviennent des « irritants » dont le poids va croissant : la valorisation de la première fintech du monde (ANT Financial) est deux fois et demi celle de la première banque européenne(1)

Nous entrons dans une nouvelle phase, qui se caractérise par :

  • Une mutation profonde de la demande, notamment de la part des clientèles jeunes. Pour simplifier, les « milléniaux » consomment les services financiers comme les autres services (culture, transports, réseaux sociaux, etc.)

  • L’apport massif et croissant de la technologie et tout particulièrement l’intelligence artificielle et Blockchain. La technologie de la donnée va révolutionner notamment le conseil, la gestion des risques et l’efficience opérationnelle, sujets situés en plein cœur de la banque.

  • L’évolution de la réglementation qui désormais structure et accélère l’innovation (RGPD-DSP2, MIFID, etc.)

  • L’entrée de nouveaux acteurs dans le jeu : opérateurs de télécom, grande distribution et surtout « Big Tech » (GAFAM américains et BATX chinois).

Cet état de fait a deux conséquences immédiates :

  • Les entrepreneurs de la fintech ne sont plus en tête à tête avec les établissements traditionnels et développent échanges et coopérations avec les nouveaux venus

  • La pression sur les acteurs historiques s’accroit fortement et appelle une réaction rapide.

Les fintech ne représentent encore qu’une part de marché modeste sur la plupart des segments, mais sont en croissance rapide.

Dans ce contexte, la relation établissements traditionnels  - fintech prend toute sa mesure.

En effet, les fintech permettent d’adapter l’offre aux nouveaux besoins en terme, tant d’usage, que de technologie. Elles constituent une sorte d’externalisation de la R&D et une option d’expérimentation précieuse.

Elles permettent en définitive deux avancées essentielles dans le contexte actuel : gagner du temps dans cette phase d’accélération de l’histoire et faire évoluer ce qui est de loin, bien avant la technologie, l’élément le plus difficile à changer, la culture, notamment celle de l’innovation.

Sur ce point, les deux modèles sont très différents :

  • La banque peut s’appuyer sur sa solidité, ses larges compétences, son statut de tiers de confiance. L’innovation y est importante et constante.Mais parfois à un rythme beaucoup trop lent et avec une amplitude insuffisante. La prise de risque est généralement limitée. L’erreur interdite voire sanctionnée.

  • La fintech est souvent jeune et frêle. Mais sa réactivité extrême, son rapport à la technologie étroit. Elle développe une approche moins propriétaire, n’hésitant pas à intégrer des briques externes. Elle expérimente, tâtonne, apprend de ses échecs, s’adapte. Elle colle souvent mieux aux attentes des « milléniaux » et à l’accélération de l’histoire.

Les deux ont donc beaucoup à apprendre l’un de l’autre.

Ceci passe par l’exploration de nouveaux thèmes de coopération (risque, efficacité opérationnelle, zones interstitielles aux lignes métiers, etc.), le développement de nouveaux modèles communs, mais surtout une bonne compréhension mutuelle et une gestion adaptée de la relation. Un point d’entrée unique, familier avec ces sujets d’innovation et des relations avec les start up est un gage de succès.

Le champ est immense, le potentiel de développement commun illimité.

Il est essentiel de prendre la pleine mesure de l’urgence des adaptations face à l’évolution de la demande et l’arrivée massive des Big Tech dans les services financiers.

Pour les acteurs historiques, banques, assureurs et Asset Managers, les fintech ne sont pas un problème mais plutôt la solution. Ou du moins un élément important de la solution.

Alors parlez-vous !

(1) Les Echos (Février 2018).