l'Union des marchés de capitaux (CMU 2), point d’étape

18/09/2020

Il y a un an, un an déjà, je dédiais ma chronique à la CMU, l’Union des Marchés de Capitaux, chère au cœur de la Commission Européenne depuis de nombreuses années.

Si vous souhaitez vous rafraîchir la mémoire, celle-ci est disponible sur notre site dans la rubrique " Vidéos réglementaires ".

Pour ceux qui n’auraient pas le temps de s’y reporter, je vous rappelle que cette initiative de la Commission Européenne, lancée en 2015, appuie et complète l'initiative intitulée "Un plan d'investissement pour l'Europe" qui visait à relancer les investissements dans l'UE, que la plupart des actions sont axées sur la réorientation de l'intermédiation financière vers les marchés des capitaux et l'élimination des obstacles auxquels se heurtent les investissements transnationaux, et enfin que le plan d'actions comprend une série d'instruments, qui vont des actes juridiques de l'UE au soutien des initiatives prises par l'industrie.

Il y a un an, nous faisions suite à la mise en place de la nouvelle mandature et étions au début des réflexions relatives à la mise en œuvre d’une nouvelle phase pour la CMU et, comme je l’indiquais alors, tant les institutions européennes que les instances représentatives de l’industrie faisaient montre d’enthousiasme, chacun y allant comme il se doit de ses analyses, constats et propositions.

Ces travaux se sont poursuivis au cours des semaines et mois qui ont suivi, ce qui a notamment donné lieu à la publication d’un rapport circonstancié rédigé par un panel d’experts, nommés en octobre 2019 par la Commission Européenne elle-même, le CMU High Level Forum ou HLF. Ce rapport a été soumis à consultation pour une période de trois semaines à la suite de sa publication le 10 juin 2020.

La Commission Européenne dispose maintenant à la fois des propositions de ce rapport d’experts, mais aussi des réactions à ces dernières reçues dans le cadre de la consultation, pour bâtir un plan d’actions supportant la mise en œuvre de la phase 2 de la CMU. Celui-ci est d’autant plus attendu alors qu’il faut faire face à la nécessité de restaurer l’économie européenne à la suite de la pandémie, de réagir à l’urgence climatique, d’accompagner le développement du digital, mais aussi à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, dont le marché financier est le plus important d’Europe ; tout ceci ne faisant qu’accroître le besoin d’un marché des capitaux européen intégré et efficient.

Nous ne savons pas ce que sera in fine le contenu de ce plan d’actions. Pour autant, dans l’attente de sa publication, nous pouvons à tout le moins nous reporter aux propositions du HLF, même si celles-ci n’engagent pour l’heure que ce dernier, dans la mesure où il a été mandaté par la Commission et qu’elle a elle-même désigné les experts en charge de lui faire ces recommandations.

Le rapport du HLF comporte, je reprends ici le terme employé par son président Thomas Wieser, et il est d’actualité, 17 clusters de mesures qui, selon son propos « se renforcent mutuellement et sont dépendantes les unes des autres ». Une approche qui se veut donc globale et cohérente.

Le constat reste celui de 2015, mis à jour des derniers « développements » que j’ai évoqués précédemment.

Les besoins de financement de l’économie, en tenant compte des impacts de la pandémie, des enjeux liés à l’innovation et à la mise en œuvre des principes ESG sont considérables, et il est clair que le secteur bancaire, aussi performant soit-il, n’y suffira pas. Il convient ici de renforcer les sources de financement stables et de long terme.

Les besoins en matière de produits d’épargne, mais aussi de rendements acceptables, sont tout aussi importants, et les difficultés à créer des pools d’investissement transfrontières sont autant d’obstacles qu’il convient de surmonter si l’on veut répondre aux enjeux d’avenir pour les épargnants, futurs retraités et investisseurs européens.

L’objectif poursuivi afin de répondre à ces besoins est, comme l’indique très bien Thomas Wieser, de mettre en place " ....une Union des Marchés de Capitaux européenne, une Union de l’Epargne et de l’Investissement, qui fonctionne pour tous ".

La CMU, ou plutôt le succès des mesures qui doivent en faciliter la mise en place, est la condition sine qua non au développement de l’Europe, à l’affermissement de son positionnement international, au renforcement induit du rôle de l’Euro, mais aussi un préalable au succès de l’Union Bancaire et à l’assurance d’une plus grande résilience face aux chocs économiques. Le tout pour le bien de ses citoyens et de ses entreprises.

Tout en garantissant le respect des sacro-saints principes de stabilité financière, de protection des investisseurs, et d’une saine et juste concurrence entre les acteurs.

  • La méthode tout d’abord : l’urgence de la situation actuelle milite pour la mise en œuvre rapide (pour l’essentiel, les mesures proposées devraient être arrêtées entre fin 2020 et fin 2022) d’un paquet de réformes législatives ambitieuses s’appuyant sur un planning précis, une volonté des politiques à ne pas céder aux intérêts partisans, un engagement conjoint de la Commission Européenne et des colégislateurs à porter les réformes et des Etats membres à les implémenter sans tarder.
  • Les mesures proposées devront systématiquement voir leur efficacité préalablement évaluée au regard des principes posés pour la construction de la CMU. Elles devront aussi comporter un objectif de simplification.
  • Par ailleurs, et ce point est important, l’action législative pourra être accompagnée par des initiatives conduites par l’industrie, par exemple la définition de standards ou le développement de plates-formes partagées.
  • Enfin, une communication pro-active relative à la mise en place des initiatives permettra d’informer sur le respect du planning initial et de maintenir la dynamique.
Quelles sont les orientations proposées afin d’atteindre ces objectifs ambitieux ?

L’idée n’est pas ici de détailler les mesures préconisées par le HLF mais plutôt d’en indiquer les grandes orientations. Ce n’est en effet pas l’objet de cette chronique que de se substituer au rapport de 129 pages auquel je ne peux que vous inviter à vous reporter si vous souhaitez obtenir plus d’informations1.

Les recommandations du HLF s’organisent autour de quatre axes :

  1. le financement de l’activité,
  2. les infrastructures de marché,
  3. l’engagement des investisseurs, 
  4. la levée des obstacles aux investissements transfrontières.

On y retrouve plusieurs des sujets qui avaient été abordés dans le premier plan d’actions en 2017.

Il est ainsi de nouveau question des fonds d’investissement à long terme, les ELTIFs, mais avec cette fois-ci le souhait de voir mises en place les incitations fiscales qui leur ont cruellement manqué par le passé. Il est d’autre part proposé de favoriser l’investissement en actions par les investisseurs institutionnels, banques et assurances, en allégeant leurs contraintes prudentielles ; mais aussi de renforcer et de monitorer le rôle que peuvent jouer les systèmes de retraite afin d’accompagner les investissements à long terme et de garantir corrélativement le niveau des pensions.

Faciliter l’accès des SMEs2 aux marchés financiers et relancer la titrisation sont deux axes revisités, et il est bien évidemment aussi suggéré de définir au niveau européen le cadre réglementaire s’appliquant aux actifs digitaux. Dans ce domaine du digital, les problématiques de cyber sécurité et d’encadrement des services de cloud sont abordées.

En ce qui concerne les infrastructures de marché, seuls les CSDs3 sont concernés avec des mesures visant à lever les barrières qui, dans leur domaine, font obstacle à l’investissement transfrontière : sont ici évoqués le passeport, la supervision et l’accès transfrontière aux monnaies de banque centrale

Le rapport du HLF s’attaque à d’autres de ces barrières qui sont induites par la fragmentation des règles qui les régissent et pour lesquelles une harmonisation est recommandée : il s’agit du traitement de la retenue à la source (Withholding tax), du régime des faillites, sans oublier bien sûr les disparités en matière de supervision

Le renforcement de l’engagement des investisseurs s’appuie tout d’abord sur une révision de la directive Droit des actionnaires (pourtant récemment entrée en application, en l’occurrence le 3 septembre 2020), afin d’aller encore plus loin en matière d’harmonisation et de standardisation du processus de vote en assemblée et du traitement des opérations sur titres. Par ailleurs, les experts du HLF s’inquiètent des lacunes des investisseurs individuels en matière économique et financière, ainsi que de leur manque de confiance et d’engagement : ils recommandent des actions de formation, mais aussi plus de transparence en matière de conseil et de description des produits financiers afin d’inciter à l’investissement productif et d’accompagner efficacement ces derniers dans leur démarche. Toujours dans le domaine de la transparence, il est proposé de créer une base unique européenne rassemblant des informations publiques, financières et non financières et mises à disposition par les entreprises concernées (EU Single Access Point). Il est enfin suggéré de faciliter le partage des informations financières et non financières des investisseurs (Open Finance), à l’instar de ce qui a été fait dans le domaine des paiements avec la directive PSD 24.

Notons que le HLF n’a pas repris certaines recommandations qui pourtant participent aux objectifs poursuivis par la CMU, car elles sont déjà l’objet d’initiatives lancées par la Commission Européenne, ainsi par exemple celles qui s’inscrivent dans la revue en cours de MIF II MIFIR5.

De nombreuses propositions donc. Sont-elles adaptées ? Vont-elles assez loin ? Sont-elles suffisantes ? Comme je l’indiquais, elles ont été soumises à consultation, mais nous ne disposons pas à ce jour du retour de la Commission Européenne sur les réponses qu’elle a reçues. Et nous ne savons pas encore ce que pourraient être ses intentions à terme. A priori, une communication sur ces deux sujets serait attendue dans le courant du mois de septembre 2020, donc très prochainement.

Des réponses auxquelles nous avons participé ou eu accès, il ressort en général un assez fort soutien aux objectifs énoncés par le rapport et aux propositions faites par le HLF, souvent accompagné de propositions additionnelles visant à renforcer ou compléter ces dernières. C’est notamment le cas concernant celles visant le post-marché dans la mesure où l’industrie a produit en 2017 un rapport extrêmement complet et circonstancié, le rapport dit de l’EPTF6, et qu’assez peu des recommandations faites à l’époque ont été reprises par le HLF.

Il sera intéressant de voir ce qui ressort de la consultation de juin 2020 et de actions que la Commission décide finalement d’initier. Autant d’éléments qui pourraient être analysés dans le cadre de notre prochaine chronique au début de l’année prochaine.

 

2 SMEs : Small and Medium Size Enterprises, à savoir Petites et moyennes entreprises (PME)

3 CSDs: Central Securities Depositories ou Dépositaires Centraux.

4 PSD: Payment Services Directive ou Directive sur les Services de Paiement.

5  MIFIR: Markets in Financial Instruments Regulation, à savoir Directive sur les marchés d’instruments financiers.

6 EPTF: European Post-Trade Forum ou Forum européen du post-marché.