La Tunisie : sur la voie d'une meilleure attractivité

29/03/2022

A l’instar de ce qui se passe sur plusieurs places financières, des efforts collégiaux sont fournis, depuis plus de cinq ans, par les principaux acteurs du marché financier tunisien : la Banque Centrale de Tunisie (BCT), le Conseil du Marché Financier (CMF), Tunisie Clearing (TC) et la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis (BVMT) en vue d’améliorer la visibilité de la Tunisie auprès des investisseurs étrangers, ou « IE ».

La démarche est centrée sur l’amélioration des critères de classification des fournisseurs d’indices internationaux comme Morgan Stanley Capital International (MSCI) et Financial Times Stock Exchange (FTSE), très regardés par les investisseurs étrangers, particulièrement les institutionnels.

Voici un bref recensement des plus significatifs de ces efforts :

  • Le nouveau code d’investissement tunisien :

La nouvelle loi d’investissement1 votée le 30 septembre 2016, venue en remplacement de l’ancien code d’investissement (1993), a donné un signal fort et clair aux IE par rapport à la facilité d’accès soulignée par MSCI dans son critère « Limite de participation étrangère (FOREIGN OWNERSHIP LIMIT LEVEL) ». En effet, la première phrase du titre II (article 4) affirme que « L’investissement est libre », mettant fin à la nécessité d’une autorisation du Conseil Supérieur de l’Investissement pour les participations étrangères voulant dépasser certains niveaux du capital d’une société tunisienne. De plus, le premier article du titre III (article 7) de la même loi énonce que « Dans des situations comparables, l’IE jouit d’un traitement national non moins favorable à l’investisseur tunisien en ce qui concerne les droits et les obligations prévus par la présente loi », concrétisant ainsi l’esprit de l’égalité dans le traitement entre l’investisseur étranger et l’investisseur local, ce qui rejoint le critère MSCI relatif aux « Droits égaux pour les IE (EQUAL RIGHTS TO FOREIGN INVESTORS) ».

  • La promulgation d’une loi visant à protéger les actionnaires minoritaires :

Toutes les sociétés cotées sont tenues, depuis août 2019, d’inclure dans leur Conseil d’Administration un représentant des petits actionnaires élu par les actionnaires minoritaires suite à une mise à jour du Règlement Général de la Bourse « RGB »dans son article 38, ce qui traduit le critère évoqué par FTSE « Traitement équitable et non préjudiciable des actionnaires minoritaires (FAIR AND NON-PREJUDICIAL TREATMENT OF MINORITY SHAREHOLDERS) ».

  • La nouvelle plateforme de la Banque Centrale de Tunisie :

Cette nouvelle réglementation, officiellement entrée en vigueur en 2018, est venue remédier à la mise en conformité non exhaustive de quelques banques tunisiennes par rapport à la procédure de déclaration des investissements étrangers, chose qui exposait un certain nombre d’« IE » au risque de se retrouver incapables de rapatrier le produit de leurs investissements. Conjuguée à une volonté de moderniser et de sécuriser les modalités de déclaration des investissements en devise des non-résidents en Tunisie, la BCT vient concrétiser, grâce à cette plateforme, la digitalisation de l’ancienne « fiche d’investissement ». L’IE est désormais impliqué dans le processus de déclaration de son investissement/désinvestissement. Ce processus garantit plus de fluidité en termes de transfert de fonds, rappelant le critère MSCI de « Facilité de l’entrée et la sortie de capitaux (EASE OF CAPITAL INFLOWS / OUTFLOWS) ».

SGSS Tunisie a mené une action auprès de la BCT pour éviter que cette procédure ne soit pénalisante par rapport au critère FTSE « Aucun ou simple processus d’inscription pour les investisseurs étrangers » (NO OR SIMPLE REGISTRATION PROCESS FOR FOREIGN INVESTORS) » laissant ainsi la possibilité à un mandataire (en l’occurrence la banque dépositaire de l’IE) d’alimenter la plateforme BCT au nom du client final moyennant une délégation de pouvoir ou « POA »

  • Le nouveau système de Tunisie Clearing (Tanit CSD)

TANIT-CSD, lancé en septembre 2020, offre une automatisation de bout en bout via un échange sécurisé de fichiers en format SWIFT, ce qui réduit considérablement tout risque opérationnel et se rapproche des standards internationaux. Sur un autre volet, TC a commencé à agir en tant que teneur de registre central de toutes les sociétés cotées, garantissant une meilleure transparence et donc plus de sécurité pour les investisseurs.

Cette modernisation répond directement au critère Tenue de registre et service dépositaire (REGISTRY / DEPOSITORY), mis en avant par MSCI dans le cadre de l’Efficacité des pratiques opérationnelles (EFFICIENCY OF THE OPERATIONAL FRAMEWORK).

  • Un nouveau système de trading de la BVMT : Optiq

« Depuis le 30 août 2021, on a opté pour la migration de l’ancien système de cotation NSC vers la nouvelle plateforme Optiq®. En fait, il s’agit toujours de la technologie d’Euronext », confirme M. Bilel Sahnoun, CEO de la BVMT.

« Cette nouvelle plateforme est capable, par sa robustesse et ses capacités technologiques, de traiter les opérations à la nanoseconde. Elle nous a de surcroît apporté la notion de seuil dynamique ; en conséquence, 90% des interventions humaines ont été supprimées. Cette plateforme permet aussi d’améliorer la transparence, afin d’éviter de jouer sur les prix à l’ouverture de la séance. L’avantage le plus important pour la BVMT, c’est que la contrainte technologique n’existera plus quand on aura la possibilité de développer des produits financiers complexes ou plus sophistiqués, parce que cette nouvelle plateforme sera capable de les gérer. Technologiquement, la Bourse de Tunis est prête pour l’avenir », ajoute M. Sahnoun.

Ceci répond parfaitement au critère « l’Efficacité des pratiques opérationnelles » (EFFICIENCY OF THE OPERATIONAL FRAMEWORK), tel que mentionné par MSCI.

  • Adaptation de la réglementation sur le volet « Prêt/emprunt de titres » (STOCK LENDING/SELLING) », « Vente à découvert/prêt à court terme autorisés » (SHORT SALES/LENDING PERMITTED) et « marché des produits dérivés développés » (DEVELOPED DERIVATIVES MARKET) de MSCI :

Malgré le fait que la place tunisienne fonctionne désormais via la nouvelle plate-forme de trading qui supporte bien techniquement les volets évoqués, le cadre réglementaire n’autorise toujours pas ces produits/pratiques. En effet, une nouvelle loi remplaçant celle de 1994 est en cours de préparation par le CMF et devrait offrir suffisamment de flexibilité au marché pour inclure autre que les actions et les obligations, les produits dérivés, les commodités, les prêts/emprunts de titres, les fonds indiciels cotés en Bourse (ETF)…

  • Des sites web officiels désormais accessibles en anglais :

Cette initiative menée par les principales entités de marché (BVMT, CSD, TC et BCT) assure un accès équitable à l’information, répondant ainsi au critère de la disponibilité de l’information en anglais de MSCI dans le cadre des « droits égaux pour les investisseurs étrangers (EQUAL RIGHTS TO FOREIGN INVESTORS) ».

Les réalisations accomplies jusqu’à présent ont permis de promouvoir davantage la visibilité de la Tunisie. Rappelons que FTSE a amélioré l’appréciation de la Tunisie à deux reprises depuis 2017. La première appréciation a porté sur le critère « Efficience du mécanisme de négociation », tandis que la deuxième, qui a eu lieu en 2021, a porté sur « la structure des comptes titres chez le dépositaire central ». Ces critères sont désormais « respectés » selon FTSE.

Cela dit, la place tunisienne se doit encore de relever plusieurs défis :

  • Un moteur de traduction de l’information en anglais :

Une idée serait de mettre en place un moteur de traduction automatique pour le flux continu des informations financières officielles. Une fois en place, cette solution pourrait combler le critère « flux d’information (INFORMATION FLOW) » soulevé par MSCI. La BVMT œuvre avec tous les intervenants (y compris l’ordre des experts comptables) pour concrétiser cette idée. 

  • Des introductions en bourse (IPOs) de taille, sont nécessaires :

Le plus gros défi reste d’introduire au moins deux capitalisations boursières de taille minimale de « 1,594 M$3 » chacune, pour que le marché tunisien puisse prétendre à migrer au statut « Emerging ». Quelques candidates pourraient remplir ces conditions : les compagnies minières (Groupe Chimique de Tunisie, Phosphate Gafsa) ou pétrolières (ETAP), la Régie des Tabacs (RNTA)…

La cotation des sociétés de cette envergure semble assez délicate, surtout dans le contexte macro et socio-économique actuel, et demanderait l’implication de toutes les parties prenantes (gouvernement, centrale patronale et partenaires sociaux).

Nous avons pu collecter le témoignage de M. Sahnoun4, CEO de la BVMT, qui a décrit la situation actuelle du marché tunisien par ces mots : « Ne jamais abandonner. Aujourd’hui c’est dur, demain sera encore pire mais le surlendemain sera ensoleillé » précise M. Sahnoun qui ne cesse de valoriser la persévérance des efforts fournis pour hisser la place de Tunis au rang de celles prétendant à un upgrade en « Emerging market » (marché émergent).

Selon le témoignage de M. Sahnoun, à l’instar de la nouvelle plateforme Optiq, beaucoup de projets sont réalisés ou en cours de réalisation afin de développer davantage notre place.

Refonte Réglementaire :

Un projet est en cours de réalisation, avec l’assistance de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et les acteurs de la Place, sous l’égide du ministère des Finances. Il consiste en la réforme de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative à l'organisation du marché financier.

Un autre projet important aussi : on travaille sur un compartiment digital dédié aux startups, en collaboration avec la GIZ (Coopération Allemande au Développement). On a effectué aussi l’étude de faisabilité d’une Bourse de Commodities avec l’USAID Tunisia JOBS (Agence des États-Unis pour le développement international).

Guide de Reporting ESG :

Avec la collaboration de la fondation Konrad-Adenauer, la Bourse de Tunis a lancé, en décembre 2021, le guide de reporting extra-financier - ESG (Environnemental, Social et Gouvernance).

En conclusion, notre objectif ultime s’oriente vers la mise à niveau de notre place financière sur tous les aspects ; technologique, fonctionnel, liquidité et profondeur. Nous sommes toujours classés en tant que marché naissant ou « Frontier », malgré des améliorations constatées pour notre notation FTSE sur les dernières années. Malheureusement, le passage de « Frontier Market » à la classe d’après, celle « d’Emerging Market », nécessite, au-delà de la volonté de la Bourse, une taille minimale indispensable, et de grandes entreprises qui doivent intégrer la cote.

Par ailleurs, il nous a semblé opportun de regarder l’expérience du marché marocain considéré comme exemple concret reflétant le bilan d’un upgrade suivi par un déclassement dix ans plus tard.

L’impact de l’évolution a été positif, explique avec conviction M.Younes Sekkat5, Président du Directoire Sogécapital Bourse Société Générale Maroc et Président de l’Association Professionnelle des Sociétés de Bourse. En 2003, le Maroc a obtenu le statut MSCI « Emerging market » et cet événement a contribué à la nette amélioration de la liquidité de la place qui est passée d’un taux de rotation de moins de 6% à un pic de près de 20% en 20076.

Cette période s’était caractérisée également par une performance de ses indices phares : le Moroccan All Shares Index « MASI » et le Moroccan Most Active Shares Index « MADEX » qui ont affiché des niveaux records avec une progression de +430%7 et un rythme soutenu de dix introductions en bourse en moyenne par an.

Le poids des investisseurs étrangers s’est également nettement renforcé en passant de 7% à une moyenne de 15%.  Après 2007, et suite à la forte crise financière internationale, le marché a commencé à corriger avec une baisse continue du volume de transactions ramenant l’indicateur de liquidité entre 6% et 7% jusqu’en 2013, année au cours de laquelle la place boursière est sortie du MSCI « Emerging Market » pour passer à l’indice « Frontier Market ».

M. Sekkat confirme également que la part du volume de transactions réalisé par les investisseurs étrangers s’est rétrécie au fil des années pour revenir vers un niveau de 8%.