TTF espagnole : est-elle enfin sur la ligne de départ ?

16/10/2020

Début août, le Premier ministre espagnol a annoncé, lors d’une conférence de presse, que la réforme fiscale tant attendue serait mise en suspens jusqu’à ce que l’Espagne retrouve les niveaux de croissance semblables à ceux que l’on a connus avant la crise liée à la pandémie de COVID-19.

Le PIB de l’Espagne avait chuté de 18,5 % au second trimestre 2020 par rapport au premier. Dans cette série de réformes fiscales désormais repoussée figure la Taxe sur les transactions financières (TTF) espagnole, également connue sous le nom de taxe Tobin. 1
Plus tôt cette année, nous nous attendions à sa mise en œuvre imminente dans le secteur espagnol des valeurs mobilières, mais le calendrier est devenu illusoire au cours du T3. 
Cependant, juste avant la parution de cet article, alors que la taxe était examinée de près par le Sénat espagnol et des amendements proposés (allant du rejet du projet de loi à des amendements techniques concernant la nature de l’évènement imposable, l’assiette imposable, le contribuable et le taux d’imposition, à une proposition pour une période de mise en œuvre plus longue), les détails du projet de loi ont été finalisés et les propositions d’amendements rejetées.

Rappel historique

L’idée d’introduire la taxe a une longue histoire en Espagne et en Europe :

Elle germe en Espagne en 2012, lorsqu’un projet de loi concernant une taxe espagnole sur les transactions financières a été présenté. Cependant, ce projet de loi a été suspendu en 2013 lorsque l’Espagne a rejoint le groupe d’États membres de l’Union européenne promouvant la procédure de coopération améliorée en vue de l’adoption d’une TTF dans l’UE.

La méthode adoptée par le groupe reposait sur l’idée selon laquelle « une taxe sur les transactions financières renforcera le marché unique en réduisant le nombre d’approches nationales divergentes concernant l’imposition des transactions financières, et veillera à ce que le secteur financier contribue de façon équitable et significative aux recettes publiques. »2 10 États membres, à savoir la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, la France, l’Italie, l’Autriche, le Portugal, la Slovénie et la Slovaquie, y ont participé.

Cette année, l’on constate enfin des progrès en Europe, puisque le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, a déclaré, en janvier 2020, qu’il avait bon espoir qu’un accord puisse être conclu sur une taxe européenne sur les transactions financières, et que les États membres négociant alors les conditions de la TTF proposée dans l’UE étaient sur le point de parvenir à un accord. En décembre 2019, Olaf Scholz a présenté aux 10 États membres participant à l’initiative ce qu’il décrivait comme une proposition définitive d’une TTF dans l’UE. 

Cet accord à l’échelle européenne met un certain temps à porter ses fruits, et lorsque la TTF espagnole sera finalement imposée par voie législative, elle suivra les réformes d’autres pays européens ayant introduit une telle taxe, sans attendre la communauté européenne (par exemple, la France, l’Italie et la Belgique).

Mais revenons à l’Espagne : au cours d’une période d’instabilité politique dans ce pays, le parti socialiste a publié plusieurs mesures fiscales dans le Projet de budget 2019 (le 23 octobre 2018), notamment l’introduction d’une TFF espagnole. Cette dernière a été approuvée lors d’un conseil des ministres qui s’est tenu en janvier 2019, mais le projet de loi n’a pas abouti en raison de la précarité continue du gouvernement en 2019, et des élections générales qui se déroulaient alors.

Ce projet de loi a une nouvelle fois été approuvé en février 2020, mais c’était juste avant que la crise du COVID-19 ne retienne toute l’attention, et les ressources ont été mobilisées afin de gérer l’urgence. En effet, l’Espagne fonctionne encore aujourd’hui en vertu de l’ancien budget du précédent gouvernement, car il n’a jusqu’ici pas été possible, avec un gouvernement de coalition, d’approuver un nouveau budget qui inclurait la TTF.

Le taux d’imposition

La structure fiscale prévue est très semblable à celle de la France, avec un taux de 0,2 % sur l’acquisition d’actions émises par des sociétés cotées dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d'euros. Les actions de petites et moyennes entreprises (PME) et de sociétés non cotées, la dette publique et privée ainsi que les instruments dérivés ne seront pas soumises à l’impôt.

Si le projet européen visant à mettre en œuvre une directive sur la taxe finit par progresser, comme cela semble être le cas après l’annonce d’Olaf Scholz, se pose la question de savoir si la tentative de l’introduire à l’échelle nationale sera vaine, puisque l’Espagne devra alors s'empresser de s’adapter à la décision de l’UE.

L’avis des acteurs du secteur en espagne

L’avis de la BME (Bolsas y Mercados Españoles, l’opérateur de la Bourse espagnole), devant toute instance ou dans toute publication où il a fait entendre sa voix, a consisté à s'opposer à la taxe au motif que cette dernière entravera la croissance des sociétés cotées en Espagne, va à l’encontre de l’Union des marchés des capitaux, et réduira le volume des échanges en bourse. D’autres avis émanant d’acteurs du marché évoquent les conséquences négatives sur l’investissement et sur les résultats de caisses de retraite. L’on se préoccupe du fait que la taxe, qui s’applique aux actions espagnoles, est discriminatoire et dissuadera d’investir dans le pays.

Finalement 

Malgré la réticence du secteur à accepter cette taxe, le gouvernement a été très favorable à sa mise en œuvre, et a pris les mesures nécessaires à cette fin.

A l’heure où nous écrivons, le projet de loi a de nouveau été présenté au Congrès et recevra la sanction royale. La loi sera ensuite oubliée au BOE (bulletin officiel de l’Etat). Sa mise en œuvre sera effective trois mois après la publication au BOE. Par conséquent, l’on peut finalement s’attendre à une mise en œuvre de la taxe Tobin espagnole en janvier 2021.

 


1 La taxe Tobin tire son nom de l’économiste américain lauréat du Prix Nobel James Tobin, lequel a soumis l’idée, en 1972, d’une taxe sur l’ensemble des conversions de devises au comptant.

2 https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/enhanced-cooperation-factsheet-tallinn_en.pdf, p.20