A la recherche d’un nouvel équilibre

02/06/2023

Un mois et demi après le stress bancaire déclenché par la faillite des deux banques américaines et les problèmes de Crédit Suisse, le calme semble de retour sur les marchés après la résolution du cas First Republic par son rachat par JP Morgan.

Les principaux indices boursiers cotent encore sur les plus hauts de l’année après une belle saison des résultats. Pour retrouver l’incidence de l’épisode de stress financier, il faut regarder au-delà des grands indices boursiers : dans le secteur financier américain et dans le segment obligataire où les taux d’intérêt longs ne retrouvent pas leurs pics de début d’année.

Sur le plan plus macroéconomique, les enquêtes conjoncturelles PMI1 pour le mois d’avril montrent que les Etats-Unis et la zone euro enregistrent encore une forte expansion portée entièrement par un nouveau rebond du secteur des services, alors que le secteur manufacturier se contracte encore. En zone euro la divergence entre les deux secteurs atteint son plus haut historique (un écart de plus de 11 points)2, il nous parait raisonnable de s’attendre à un début de convergence dans les mois à venir. D’un point de vue prospectif, les statistiques montrent des signes de ralentissement de l’économie américaine avec des vents moins porteurs sur la consommation des ménages, les ventes au détail commencent à se modérer et il y a un début de repli sur les positions ouvertes, qui restent toutefois historiquement très élevées. Le ralentissement devrait ainsi s’intensifier dans les prochains trimestres, sachant que la détérioration des conditions de crédit constatée devrait peser sur les investissements des entreprises.  

L’inflation américaine, mesurée par l’indice des prix à la consommation, a diminué légèrement plus qu’attendu à 5,0% en mars (après 6,0% en février), du fait d’un effet de base important sur les prix de l’énergie, et retrouve ainsi son niveau de mai 2021. L’inflation sous-jacente est quasiment stable à 5,6% en mars (après 5,5% en février)3 avec les mécanismes attendus : la détente de l’inflation des biens est pour le moment épuisée et il faut attendre probablement le cours du deuxième trimestre pour que l’inflation des services, notamment via sa composante immobilière, prenne le relais à la baisse.

En zone euro l’inflation totale a nettement baissé à 7,0% en avril après 8,5% en févrieren lien avec des effets de base de grande ampleur sur les prix de l’énergie, tandis que l’inflation sous-jacente est encore sur un plateau haut à 5.6% (après 5.7%), (source Eurostat, données au 9 mai 2023). En effet, la première détente début 2022 de l'inflation des biens manufacturés ne parvient pas à compenser la nouvelle hausse sur les services qui pèsent bien plus dans le panier des ménages et dont l’évolution est très homogène avec celle des rémunérations en Zone Euro, autour de 5% actuellement sur un an (source Eurostat, donnée au 9 mai 2023).

En synthèse l’inflation totale recule des deux côtés de l’Atlantique, grâce notamment aux effets de base des prix de l’énergie, mais la partie sous-jacente se confirme plus rigide. C’est donc l’inflation des services, la plus liée à la dynamique salariale que les banquiers centraux vont monitorer pour l’orientation de politique monétaire dans la deuxième partie de l’année. Dans ce contexte, la FED (Federal Reserve System) ne devrait plus modifier ses taux directeurs sur l’année après le mouvement de début mai. Nous pensons en outre que les 3 baisses de taux attendues par le marché, d’ici la fin de l’année sont trop optimistes. Le banquier central américain attendra d’être certain de la baisse continue de l’indice core inflation avant d’assouplir sa politique monétaire. Il faudrait sinon que la récession américaine au deuxième semestre soit violente sous l’effet de l’accumulation des rapides et nombreuses hausses de taux et du resserrement des conditions de crédit issue de l’onde de choc sur les banques régionales. Dans ce cas-là, les actions américaines nous paraissent nettement trop élevées et sur des niveaux de multiples incapables d’absorber ce type de mauvaises nouvelles.

En Europe, la Banque Centrale Européenne devrait continuer de relever une voire deux fois ses taux directeurs d’ici l’été avant de se stabiliser et, à l’image de la FED, de rester durablement en territoire restrictif pour voir refluer l’inflation cœur sur la deuxième partie de l’année.

On le voit, les taux longs ne devraient pas refluer significativement dans notre scénario central. Si on allonge un peu l’horizon de vue, la nécessaire transformation énergétique au niveau mondial pourrait devenir un relais de croissance qui permettrait de rentrer dans un long cycle de croissance et qui verrait ainsi une croissance nominale, une inflation, des taux courts et longs rester assez élevés pour une longue période de temps (une inflation plus élevée que la cible des banques centrales étant également une aide au désendettement des Etats moins douloureuse que des hausses d’impôts ou des baisses de dépenses publiques).

De notre point de vue, nous avons donc sans doute changé de régime sur le niveau absolu des taux d’intérêt redonnant ainsi ses lettres de noblesse au monétaire et à l’Investment grade, deux classes d’actifs qui avaient singulièrement perdu de leur attrait dans la décennie précédente. Les allocations d’actifs des grands investisseurs s’en trouveront donc nécessairement modifiées provoquant des rééquilibrages à venir avec celles qui avaient eu leurs faveurs précédemment. Enfin, last but not least, ce nouvel état d’équilibre sur le niveau des taux d’intérêt s’accompagnera également d’un probable changement de régime sur les matrices de corrélation entre actions et obligations à l’image de ce que nous avions connu au début des années 2000, modifiant là encore la construction de nombreuses allocations d’actif et de portefeuilles.

Eric Bertrand, Deputy Managing Director, Chief Investment Officer, Ofi Invest Asset Management


1Purchasing Manager Index
2Source : HCOB S&P Global, données au 9 Mai 2023

3 Bureau of Labor Statistics, données au 9 mai 2023

4Source : Eurostat, données au 9 mai 2023

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