Les pratiques ESG ne sont pas parfaites - mais les investisseurs ne peuvent se permettre d’attendre

10/03/2021

La pandémie de Covid-19 a offert un temps unique de réflexion. Les gouvernements du monde entier ont formulé un projet de « reconstruire en mieux » et de poursuivre une « reprise verte », tandis que les investisseurs reconnaissent de plus en plus l’importance des questions de durabilité non financières pour la création de valeur à long terme. En particulier, le secteur financier s’est uni autour des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour gérer les risques non financiers, identifier les opportunités et accroître la résistance aux événements à faible probabilité et fort impact - comme les pandémies, les mouvements sociaux populaires, ou les événements météorologiques plus imprévisibles et violents auxquels nous pouvons nous attendre en raison du changement climatique.

De ce fait, les pratiques et les produits visant à mieux intégrer les facteurs ESG clés dans la prise de décision financière se sont développées pour répondre à la demande. Aujourd'hui de nombreux prestataires proposent des notations ESG pour évaluer la performance des entreprises en matière de risque de durabilité, tandis que les indicateurs, les cadres d’informations, les approches en matière d’investissement et les produits financiers basés sur l’ESG se sont multipliés de la même façon. L’évaluation ESG est devenue une caractéristique importante des marchés de capitaux mondiaux, les entreprises notées selon les critères ESG représentant désormais 78% de la capitalisation totale du marché mondial1.

Cependant, une nouvelle analyse empirique de l’OCDE montre que, bien qu’il existe sur le marché une grande quantité d’informations sur les risques ESG, celles-ci ne sont pas exploitées ou communiquées de façon à répondre aux besoins des acteurs du marché. Différentes agences de notation, par exemple, utilisent et pondèrent des indicateurs distincts et appliquent souvent un degré d’évaluation subjective, ce qui signifie qu’une même entreprise peut se voir attribuer des notes ESG très différentes. Les informations sur les entreprises varient également beaucoup, tant en ce qui concerne les informations fournies que les indicateurs utilisés, le cas échéant.  En conséquence, les acteurs du marché manquent souvent de données concordantes, d’indicateurs comparables, et de méthodologies transparentes pour informer correctement les décideurs dans une optique de risque de durabilité.

Une récente enquête mondiale de l’OCDE sur les assureurs et les fonds de pension a souligné les défis que cela représente pour les investisseurs institutionnels lorsqu’il s’agit de gestion de portefeuille et d’allocation d’actifs. Qu’ils recourent à des services externes ou à des analyses internes, les investisseurs ont signalé la difficulté à comparer la performance des entreprises et des actifs à l’aune des facteurs de risques ESG. Cela rend également obscure la matérialité financière de ces facteurs - ce qui a son importance dans le développement des stratégies d’investissement durable, le respect des obligations fiduciaires, et l’explication des décisions d’investissement influencées par les facteurs ESG aux bénéficiaires.  

Parallèlement, des forces de marché incitent les investisseurs à agir sur les résultats en matière de durabilité. De grands gestionnaires d’actifs comme BlackRock et les fonds de la Net Zero Asset Managers Initiative mettent désormais en place et prônent des stratégies de transition carbone solides et significatives, reconnaissant que l’importance de leurs participations les exposent à des risques systémiques à long terme comme le changement climatique, et que les entreprises de leurs portefeuilles sont également exposées à des risques physiques et politiques particuliers. La capacité des entreprises à créer de la valeur à long terme est également de plus en plus liée à leur réputation et à leur capacité à maintenir la légitimité sociale que leur attribuent les communautés dans lesquelles elles exercent leurs activités, qui inclut souvent les facteurs ESG. En outre, clients et les bénéficiaires exigent de plus en plus des stratégies et des produits d’investissement qui non seulement créent de la valeur mais en plus correspondent à leurs valeurs. 

La bonne nouvelle est que la communauté internationale a reconnu la défaillance du marché qui empêche les investisseurs d’évaluer avec précision les risques ESG, de les estimer et d’allouer des capitaux en conséquence - et qu’elle se mobilise pour y remédier. Les organismes qui établissent les normes internationales comme l’OCDE, le Conseil de stabilité financière et l’Organisation internationale des commissions de valeurs se mobilisent pour faire avancer ce programme, et la récente proposition de la Fondation IFRS de créer un Conseil des normes de durabilité (Sustainability Standards Board) est un programme prometteur pour coordonner ces efforts et conduire à une véritable norme mondiale en matière d’indicateurs de risques ESG et de cadres de reporting. C’est exactement ce que réclament les investisseurs institutionnels dans l’enquête de l’OCDE.

Néanmoins, ces efforts prendront du temps, et la pression sur les investisseurs pour mieux intégrer les facteurs de risques ESG est déjà présente. Des actions peuvent déjà être menées par les investisseurs, individuellement et collectivement. En tant que clients majeurs des notations ESG et d’autres produits, les investisseurs peuvent exiger une plus grande transparence sur ce qui se cache derrière ces évaluations. S’ils utilisent des notations externes, les investisseurs doivent être conscients des risques qu’un marché aussi fragmenté représente pour la réalisation des objectifs ESG - par exemple, le risque d’« achat de notes » par des entreprises à la recherche de la note la plus avantageuse. De meilleures pratiques peuvent également être intégrées aux stratégies d’investissement et encouragées dans la gouvernance des actifs, comme les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises, qui s’accompagnent de directives spécifiques en matière de due diligence pour les investisseurs institutionnels.

Enfin, les investisseurs peuvent et doivent être des participants actifs à mesure que la communauté mondiale converge autour de cadres communs pour saisir et signaler les facteurs ESG clés dans les années à venir. Ces efforts ne seront pas couronnés de succès sans un engagement ferme et une étroite collaboration du secteur, et l’OCDE se réjouit de travailler avec tous les acteurs du secteur financier afin de garantir que le marché dispose des informations ESG dont il a besoin pour réellement tenir la promesse de l’investissement durable.

Greg Medcraft
Director for Financial &  Enterprise Affairs
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)


1Boffo, R., et R. Patalano (2020), “ESG Investing: Practices, Progress and Challenges”, OCDE Paris, https://www.oecd.org/finance/ESG-Investing-Practices-Progress-Challenges.pdf

Liens utiles : 
https://www.unpri.org/

https://www.unglobalcompact.org/

https://www.sasb.org/standards/materiality-map/