MIFID II et la recherche : une copie à réécrire

07/11/2019

La mise en place des dispositions de MiFID II sur la recherche s’est traduite par la réduction de de la couverture des petites et moyennes entreprises européennes. La question d’un aménagement de la réglementation est dès lors posée par l’industrie financière.  

Dès avant leur mise en œuvre, début 2018, les dispositions de MiFID II relatives à la recherche financière suscitaient les plus vives inquiétudes parmi l’industrie sell-side comme parmi les émetteurs. D’une part, ces mesures n’avaient pas fait l’objet de réelles discussions entre les co-législateurs européens, et n’étaient apparues que lors de l’établissement des textes d’application et sous l’influence de la seule FCA (Financial Consduct Authority) britannique. D’autre part, et surtout, l’obligation générale de dégroupage entre les commissions d’exécution des ordres et la rémunération de la recherche faisait craindre une rupture complète de l’équilibre économique, déjà fragile, de cette dernière, avec le risque d’une attrition de la couverture, particulièrement pour les entreprises petites et moyennes.

Des craintes fondées

Près de deux ans après l’entrée en vigueur de MiFID II, et malgré les quelques concessions de forme qui avaient été obtenues par l’industrie, l’évolution du marché semble confirmer que les craintes alors exprimées étaient fondées.

A l’échelle européenne, au vu de la lourdeur des contraintes imposées pour continuer à faire peser les coûts de recherche sur les investisseurs, la très grande majorité des gérants d’actifs ont choisi de rémunérer la recherche qu’ils consomment sur leurs fonds propres. En outre, alors que les nouvelles règles ne portaient que sur la gestion de portefeuille, presque tous les gérants en ont étendu l’application à la gestion collective. De fait, la coexistence de deux modèles de rémunération différents pour la recherche aurait soulevé des difficultés opérationnelles difficilement surmontables. Dans un contexte de forte concurrence et de menaces sur leurs propres marges, ce changement de modèle les a évidemment poussés à réduire autant que possible les coûts afférents. Ils ont trouvé dans cette démarche le soutien inattendu de certaines grandes banques d’investissement, importants producteurs de recherche, qui ont proposé des tarifs extrêmement bas pour leur recherche, voyant là l’occasion d’accélérer leur gain de parts de marché en Europe.

Il est en l’état difficile d’estimer l’impact de ces mouvements sur les enveloppes dédiées au financement de la recherche, d’autant que celles-ci étaient parfois mal cernées avant la réforme introduite par MiFID II. Toutefois, et si certaines études réalisées parmi les sociétés de gestion ne reconnaissent que des baisses limitées, la plupart des fournisseurs de recherche indiquent avoir vu leur rémunération baisser significativement dès 2018, souvent dans des proportions de l’ordre de 40%1.

Les business plans des fournisseurs de recherche repensés

Du côté des fournisseurs de recherche, précisément, la réforme a conduit à approfondir la réflexion sur la valeur de l’analyse financière,et à adopter des modèles de tarification nouveaux. Ceux-ci sont le plus souvent fondés sur la définition de packages, gradués de la simple diffusion de notes écrites à la capacité pour les clients à interagir avec les analystes. En outre, au-delà de l’univers des actions, la tarification de la recherche a été étendue à la recherche crédit, indicielle et stratégique notamment, mais à des niveaux trop faibles pour induire des revenus significatifs.

Quel est dans ce cadre l’effet sur la couverture des entreprises européennes ?

La question mérite d’autant plus d’être posée que l’existence d’une analyse financière a un effet direct sur le coût du financement des émetteurs2, et que l’écosystème de la fourniture de recherche présente de longue date de profondes faiblesses, notamment pour les Petites et Moyennes Entreprises et Entreprises de Taille Intermédiaire (PME-ETIs). En la matière, plusieurs facteurs de fragilité ont été documentés par l’AMAFI3 : l’offre de recherche sur PME-ETIs repose sur quelques acteurs domestiques (en France, 3 d’entre eux représentent 40% de l’analyse produite), par construction très sensibles aux conditions économiques locales, et son renouvellement s’est historiquement nourri de la création d’acteurs nouveaux, que les conditions défavorables crées par MiFID II semblent désormais empêcher.

Au final, s’il est sans doute trop tôt pour former une image définitive, plusieurs indices suggèrent d’ores et déjà un appauvrissement de l’offre de recherche en Europe, avec un impact important sur la couverture des PME-ETIs. Ainsi, une étude académique4 parue cet été indique que plus de 300 entreprises européennes ont perdu toute couverture sell-side, et l’analyse rassurante récemment produite par la FCA s’est attirée des critiques acerbes des acteurs du marché5. En France, l’inquiétude est assez grande pour avoir amené l’industrie financière à se réunir autour de l’initiative MiFID Vision6, et l’AMF à lancé en juillet 2019 une mission visant à explorer les pistes pour améliorer la situation de la recherche7.

Quelles solutions ?

Plusieurs pistes mériteront sans doute d’être examinées afin d’éviter que ne s’aggravent les dommages causés à l’écosystème de l’analyse financière.

  • D’une part, il conviendrait d’introduire dans les dispositions de MiFID II une forme de proportionnalité, qui permette d’en exonérer les plus petites gestions et la recherche sur PME-ETIs ;

  • D’autre part, sous réserve d’un encadrement suffisant des conflits d’intérêts qu’elle peut induire, il paraît indispensable de favoriser le développement de la recherche sponsorisée par les émetteurs, afin de restaurer un modèle économique viable pour les fournisseurs.

Plus largement, l’expérience de l’effet de MiFID II sur la recherche semble devoir constituer une alerte sérieuse pour les co-législateurs européens : afin d’éviter de tels effets contre-productifs, le processus d’élaboration de la norme doit s’attacher à mieux anticiper ses effets, et doit examiner sérieusement la question de l’impact sur la compétitivité de l’industrie financière européenne.

 


1 Le rapport publié en septembre par la FCA évoque une baisse des budgets de 20 à 30%, avec vraisemblablement un effet plus concentré sur une majorité de fournisseurs
4 Bingxu Fang, Ole-Kritian Hope, Zhongwei Huand et Rucsandra Moldovan, The effects of MiFID II on sell-side analysts, buy-side analysts and firms.
5 Voir la revue publiée par la FCA, et les réactions suscitées (FT : FCA attacked by research houses over Mifid II reforms).
6MiFID Vision, pilotée par la SFAF, et à laquelle les associations professionnelles buy-side et sell-side, ainsi que l’AMF et Bpifrance, se sont jointes.
Stephane Giordano Regulatory Strategy