Des dividendes modestes attendus malgré des actions qui frôlent les sommets

08/04/2021

Tous les exemples figurant dans ce rapport sont des interprétations hypothétiques de situations et sont utilisés à des fins explicatives uniquement. Les avis figurant dans le présent rapport reflètent uniquement ceux des auteurs et pas nécessairement ceux du Groupe CME ou de ses établissements affiliés. Le présent rapport et les informations y figurant ne doivent pas être considérés comme des conseils d’investissement ou des résultats de l’expérience réelle du marché.

Sur les marchés, chaque cours raconte une histoire sur la conviction des investisseurs quant au scénario le plus probable. En effet, l’une des questions les plus élémentaires que se posent la plupart des investisseurs est : « Quels sont les éléments déjà intégrés dans le scénario de marché ? » L’image renvoyée par les marchés des actions et des obligations est pessimiste, quoique dans une moindre mesure depuis quelques semaines. Cela pourrait sembler paradoxal de caractériser les marchés boursiers comme le reflet d’un scénario baissier, alors que les indices américains comme le S&P 500®, le Nasdaq 100 et le Russell 2000 se négocient à des niveaux proches de leurs sommets records. Toutefois, depuis la création du S&P 500 Annual Dividend Index Futures en 2015, nous avons pour la première fois été en mesure d’examiner les attentes du marché des actions et celles-ci ne sont guère enthousiasmantes. Après avoir progressé de 155 % au cours des dix dernières années, les contrats à terme sur dividendes ne devraient pas progresser durant les dix années à venir (figure 1). Cela étant dit, les attentes sont un peu moins pessimistes qu’elles ne l’étaient il y a trois mois, lorsqu’elles intégraient une nette baisse des versements de dividendes jusqu’au début des années 2030.

Curieusement, depuis le début de l’année 2017, le montant attendu des versements de dividendes n’a guère évolué. Pourtant, l’indice S&P 500 lui-même a progressé de plus de 70 % (figure 2). Comment est-il possible que les cours des actions aient autant augmenté alors que les attentes concernant les futurs versements de dividendes sont restées inchangées ? La réponse réside dans les marchés obligataires. L’évolution des attentes de rendements obligataires à long terme influe sur les valorisations des actions. Lorsque les rendements à long terme baissent, cela augmente la valeur actuelle nette (VAN) des bénéfices, dividendes et autres flux de trésorerie futurs des entreprises.

Les taux d’intérêt à long terme étaient en baisse même avant la pandémie. Entre novembre 2018 et fin 2019, les rendements des bons du Trésor américain à 30 ans ont chuté de 3,45 % à 2,33 % (graphique 3). Cela explique essentiellement l’augmentation de la VAN des futurs versements de dividendes attendus sur cette période. En effet, entre le début de l’année 2016 et la survenue de la pandémie au premier trimestre 2020, la VAN des futurs dividendes attendus a évolué de manière quasi parallèle avec la valeur du marché des actions (graphique 4).

Depuis la pandémie, les taux d’intérêt à long terme sont tombés à des niveaux inédits et n’ont commencé à se rétablir que récemment. Depuis mars 2020, ni les variations des taux à long terme ni les variations des dividendes attendus n’expliquent ce qui s’est passé par la suite : à partir d’avril 2020, les cours des actions se sont écartés de la VAN des dividendes.

Cette divergence entre les dividendes attendus des actions a coïncidé avec l’assouplissement quantitatif (QE) de plusieurs banques centrales. Entre mars et mai 2020, la Réserve fédérale (Fed) a acheté pour 3 000 milliards de dollars de bons du Trésor américain, d’obligations hypothécaires, de dette publique et locale, ainsi que d’obligations d’entreprise achetées par le biais d’ETF. Depuis juin 2020, elle a ralenti le rythme de son QE à 40 milliards de dollars par mois, soit environ 500 milliards de dollars par an. Dans l’ensemble, la Fed a porté son bilan de 19 % à 35 % du PIB.

Dans le même temps, la taille du bilan de la Banque du Japon est passée de 108 % à 131 % du PIB. La Banque centrale européenne est passée de 39 % à 62 % du PIB, tandis que la Banque d’Angleterre et la Banque du Canada ont mené leurs propres programmes d’assouplissement quantitatif.

L’assouplissement quantitatif coïncide avec des déficits budgétaires sans précédent. Le déficit budgétaire américain a atteint 16,7 % du PIB en janvier 2021. Les déficits ont atteint une proportion similaire au Japon et en Europe occidentale. Ainsi, les banques centrales et les autorités fiscales du monde entier semblent avoir adopté une forme de théorie monétaire moderne selon laquelle les banquiers centraux financent directement les déficits publics. Ce qui, à son tour, a relancé les attentes d’inflation.

Ces évolutions pourraient toutefois exposer les banques centrales et les investisseurs à certains dilemmes. Pour les investisseurs, les questions clés sont les suivantes :

  • Les niveaux de valorisation des actions seront-ils durables si les taux d’intérêt à long terme continuent de grimper ?
  • Quel serait l’impact d’une aide budgétaire et monétaire moindre sur les cours des actions ?

Pour les banques centrales, les questions sont les suivantes :

  • Dans quelle mesure leurs programmes d’assouplissement quantitatif ont-ils augmenté la valeur des actifs ?
  • Si les prix des actions et d’autres actifs commencent à baisser, les banques centrales se sentiront-elles obligées de les soutenir avec de nouvelles vagues d’assouplissement quantitatif ?

Nous pourrions obtenir des réponses à certaines de ces questions au cours de l’année 2021.

ERIK NORLAND
Directeur général et économiste senior
CME Group