Le Bitcoin répond-il à un besoin économique ?

19/05/2022

« Si vous attendez que la volatilité du Bitcoin soit beaucoup plus faible avant d’investir, vous devrez probablement payer un prix beaucoup plus élevé » - Yves Choueifaty, President and Chief Investment Officer, TOBAM

En fin de compte, qu’est-ce que l’argent ?

L’argent trouve sa valeur dans la rareté.

L’économie a trait à la création, l’échange, le stockage et l’utilisation de richesses, qu’il s’agisse du travail, de biens, de services, d’innovations, de contrats. Il ne faut jamais confondre création de richesse et émission monétaire. C’est souvent l’inverse : l’émission de monnaie tend à imiter la création de richesse, mais ne fait finalement que l’entraver et la retarder. Dans son livre « The denationalisation of money » (1975), Friedrich Hayek1 expose une théorie selon laquelle lorsqu’un groupe de personnes possède le monopole de la masse monétaire, il finit par en abuser, et cela se traduit par des crises cataclysmiques qui peuvent causer des millions de morts et entraîner des dizaines d’années de retard dans le développement. Il suggère que pour ne plus avoir à subir ces crises, nous devons nous débarrasser du monopole des émissions monétaires.

Une théorie repose généralement sur la modélisation de la réalité. En tant que discours articulé, une théorie est le plus souvent fondée sur une ou un ensemble de définitions provisoires.

L’une des plus anciennes définitions de la monnaie est celle d’Aristote, qui indique que, pour qu’un objet soit considéré comme de l’argent, il doit avoir les trois fonctions suivantes : réserve de valeur, unité de compte et moyen d’échange. Aristote n’invente pas la monnaie en disant cela. La monnaie l’a précédé de plusieurs milliers d’années. Il ne fait guère de doute que les pointes de flèche en silex ont servi empiriquement de réserve de valeur dès le Paléolithique.

Argent et temps : un lien organique

Dans le langage des brevets, les trois fonctions de la définition d’Aristote ne sont pas des « caractéristiques indépendantes ». C’est en effet parce que l’objet est une réserve de valeur qu’il devient une unité de compte et/ou un moyen d’échange. La caractéristique indépendante est la « réserve de valeur ». Pour le dire simplement, la fonction fondamentale de l’argent, celle qui fonde les autres, est le transport du travail dans le temps. Nous travaillons contre une rémunération, dans l’espoir que cette récompense nous donnera accès, à l’avenir, au travail des autres. L’une des contributions les plus importantes de l’argent à l’histoire de l’économie est la possibilité d’économiser du travail, la possibilité de transporter de la valeur dans le temps. Il peut ou doit être distingué de l’investissement, qui suppose un risque.

Si une institution d’émission « monétaire » se fixe un objectif d’inflation, disons de 2 % par an, elle renonce par définition au transport de la valeur dans le temps. On pourrait parler d’argent qui « fond » pour qualifier cet objet, mais il s’agit en fait d’un objet qui ne répond plus à la définition de l’argent d’Aristote. En cela, les institutions émettrices ont renoncé à émettre de l’« argent ». L’affaire devient encore plus compliquée si l’on considère le coût réel de la vie plutôt que le seul indice des prix à la consommation (IPC). Outre le coût effectif du logement, l’une des principales composantes du coût de la vie non prise en compte par l’IPC est l’augmentation des coûts liés à l’État2-3. Les biens et services publics, bien qu’ils soient des biens non marchands, ont toujours un coût pour le consommateur4 qui ne se limite pas aux impôts mais comprend également d’énormes taxes et coûts différés (dette publique)5.

L’argent qui ne transporte pas de valeur dans le temps laisse place à un vide, et « la nature a horreur du vide ». Au moins inconsciemment, les populations tenteront de stocker de la valeur ailleurs que dans de l’« argent » mal géré ou émis. Nous n’épargnerons plus en « argent », mais en acquérant une maison, des actions, des œuvres d’art... ou de nouveaux actifs numériques. Nous allons même fréquemment emprunter pour cela, nous mettant à découvert de liquidités, et intégrant ainsi, au moins inconsciemment, que le remboursement se fera dans une monnaie dévaluée... Nous adoptons en fait la même stratégie que l’État en empruntant maintenant et en remboursant en actifs dévalués.

Un investisseur « rationnel » au sens de la théorie financière est un investisseur à la recherche de profits. Cet investisseur est nécessaire à l’existence d’un marché « efficient ». Un marché efficient peut être décrit en bref comme un marché où les prix sont « justifiés » par les fondamentaux. Lorsqu’un prix est supérieur à celui justifié par les fondamentaux, un investisseur rationnel vendra l’actif, faisant ainsi baisser le prix jusqu’à ce qu’il converge vers le prix justifié par les fondamentaux, et inversement dans le cas d’une sous-évaluation.

Quel investisseur rationnel accepterait de prêter un actif pour être remboursé en actifs dévalués plusieurs décennies plus tard ? Aucun, sauf si… il y était contraint par certaines règlementations (bizarres ?). C’est pourquoi le principal prêteur est devenu la banque centrale elle-même, qui n’est pas motivée par la recherche du profit et n’est donc pas un investisseur rationnel. La banque centrale vise d’autres « objectifs » qu’elle s’attribue elle-même. Ces nouveaux objectifs se font au détriment de la fonction aristotélicienne de l’argent. Lorsqu’une banque centrale se donne pour mission d’encourager la croissance, de sauver un système bancaire, de financer des États pauvres ou la transition énergétique, la question n’est pas de savoir si ces objectifs sont bons ou mauvais, mais s’ils sont poursuivis au détriment de la fonction fondamentale de l’argent : transporter de la valeur dans le temps.

L’argent trouve sa valeur dans la rareté.

La proposition de valeur du Bitcoin est qu’« Il y en a 21 000 000 ».

1 Prix Nobel d’économie en 1974
2 Sécurité sociale et dépenses sociales incluses

3 L’argument habituel selon lequel les taxes ne sont pas un coût puisqu’il y a une contrepartie aux taxes ne tient pas, en effet il y a aussi une contrepartie au prix d’une voiture : la voiture elle-même !

4 … ou le contribuable

5 De la même façon que si vous achetez une voiture à un prix de 100, en payant 10 comptant et en empruntant 90, le coût réel de la voiture est toujours de 100

Yves Choueifaty, President and Chief Investment Officer, TOBAM

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