
Actifs numériques et technologies de registres distribués (DLT) : créer un cadre commun pour les opérations financières
Oscar Maffioletti, Deputy General Manager Staff chez Société Générale Securities Services (SGSS), analyse comment les actifs numériques et les technologies de registres distribués (DLT) transforment les normes opérationnelles, les infrastructures financières et les cadres réglementaires.
Cet article fait partie d’une série en trois volets :
Ce deuxième article porte sur les flux opérationnels et les infrastructures, des éléments essentiels à la création d’un cadre commun.
Vers un cadre de référence commun
La création d’un écosystème financier numérique repose sur des normes et des infrastructures communes, créées par des associations du secteur financier de premier plan et des organismes supranationaux dans le but de définir un cadre unifié pour l’intégration des actifs numériques.
Dans ce domaine, voici les principales initiatives :
Comité de Bâle, dont la mission consiste à intégrer les crypto-actifs dans les exigences prudentielles. Le Comité de Bâle, dans le sillage de l’approche adoptée par les Autorités européennes de surveillance (ESA) et la Banque centrale européenne (BCE), a entamé un dialogue avec les acteurs du marché en vue de l’intégration des enjeux que sont les crypto-actifs et les DLT dans les normes en matière d’exigences prudentielles. Il met l’accent sur la nécessité de respecter les exigences de fonds propres et de mener les activités liées à la classification correcte des actifs numériques dans le groupe 1 ou 2, lesquelles sont fondamentales pour les calculs prudentiels. Ces obligations concernent à la fois les banques émettrices de crypto et celles qui ont l’intention de proposer des services connexes. La composante technologique de cet enjeu revêt donc une importance qui doit être évaluée de manière appropriée et mise en équilibre avec les opportunités commerciales associées. À noter que le Comité de Bâle, ayant pleinement conscience de la nature innovante de ce phénomène, poursuivra le dialogue avec les acteurs, avec la volonté d’examiner et de reconsidérer des éléments des exigences prudentielles, notamment en matière de conservation de crypto-actifs.
Adaptation des codes ISIN pour les actifs numériques par l’Association of National Numbering Agencies (ANNA). En 2019, l’ANNA a créé un groupe de travail interne afin de comprendre comment il était possible d’aider le secteur à tirer pleinement parti des améliorations qui pourraient aller de pair avec l’utilisation des nouvelles technologies. Suite aux conclusions rendues par ce groupe de travail, la décision a été prise de rendre les codes ISIN indépendants de la technologie d’émission et de circulation d’un actif : ce choix a été formalisé dans les lignes directrices publiées en juin 2023 puis mises à jour.
SWIFT joue un rôle clé dans la définition du réseau, des normes de communication et des infrastructures. Parallèlement à des initiatives majeures de mise à jour de ses infrastructures, l’introduction, il y a quelques années, du champ facultatif 36D dans la norme de ses messages, qui permet de gérer le nombre typique de chiffres nécessaires pour les quantités de crypto-actifs, a constitué la première étape d’envergure.
Dans le contexte particulier des normes de Bâle, il convient d’attirer l’attention sur deux éléments :
La monnaie numérique de banque centrale (MNBC) est exclue du périmètre, retirant ainsi au moins deux postes de coûts dans les modèles économiques associés à ces initiatives.
Liquidité et volatilité des crypto-actifs : ces caractéristiques viennent ajouter des éléments de risque par rapport aux actifs traditionnels, ce qui influe sur la catégorisation en vertu des exigences prudentielles, au point d’engendrer, dans certains cas extrêmes, la non-éligibilité en tant que collatéral dans les opérations de mise en pension et de prêt de titres.
Focus sur l’Italie : un dialogue réglementaire constructif
En Italie, depuis un certain temps déjà, SGSS a entamé un dialogue avec la Banque d’Italie, la Consob et les associations sectorielles (ABI, ASSOGESTIONI, AMF ITALIA). Depuis 2024, dans le cadre de l’introduction du régime de circulation des instruments numériques en vertu du « décret Fintech »1, la comparaison n’a jamais été aussi pertinente. En effet, ce décret prévoit la mise en place d’un cadre réglementaire de premier niveau qui n’est pourtant pas suffisant pour évoluer dans ce nouvel écosystème numérique. En effet, il est nécessaire que la réglementation de second niveau soit améliorée, par exemple en post-négociation ou en ce qui concerne le rôle de la banque dépositaire. Une fois de plus, ces discussions avec les institutions sont vitales pour agir avec habileté, sérénité et détermination face aux nouvelles opportunités que cela crée pour les clients.
Les communications de la Banque d’Italie de juin 2022 et juillet 20242, qui mettent l’accent sur les compétences internes, la compréhension et la gestion appropriée des nouveaux éléments de risque au sein des structures d’entreprise, afin d’explorer de manière adéquate les DLT, et, en particulier, les cas d’utilisation liés aux paiements en monnaies numériques qualifiées de jetons de monnaie électronique (EMT) conformément au règlement MiCA (marchés de crypto-actifs) constituent une référence primordiale pour les intermédiaires italiens3.
En ce qui concerne, plus spécifiquement, la chaîne de valeur des fonds d’investissement, la discussion et la collaboration avec Assogestioni ont abouti à la rédaction d’un document majeur : le « Guide des fonds numériques italiens ». Il dote les sociétés de gestion d’actifs et leurs interlocuteurs un fil d'Ariane de confiance au sein du cadre règlementaire et du pratiques de marché utile pour lancer des initiatives de crypto-monnaies et de DLT dans le secteur des fonds d’investissement.
En mai 2025, l’EFAMA (Association européenne de la gestion d’actifs et de fonds) a publié une étude intitulée « Tokenisation, a Buy-Side Practitioner’s Guide ». Elle y propose une analyse des réglementations en vigueur dans les principaux pays européens et au Royaume-Uni, offrant ainsi un cadre synthétique d’une grande pertinence pour les opérateurs.
Permettre une intégration sûre et efficace
L’adoption de normes communes et la création d’infrastructures adéquates demeurent, pour résumer, deux axes fondamentaux pour garantir l’efficacité et la sécurité de ce nouvel écosystème financier. Seul un cadre commun permettra une parfaite intégration entre les opérateurs tout en favorisant la croissance du marché.
Oscar Maffioletti, Deputy General Manager Staff, Société Générale Securities Services
Sources:
- Décret-loi n° 25 du 17 mars 2023, modifié par la loi n° 52 du 10 mai 2023
- Comunicazione della Banca d’Italia in materia di tecnologie decentralizzate nella finanza e cripto-attività - Giugno 2022 ; Règlement (UE) 2023/1114 sur les marchés de crypto-actifs (« MiCA ») ; Comunicazione della Banca d’Italia - juillet 2024
- La position actuelle de la Banque d’Italie, comme chacun le sait, vis-à-vis des monnaies numériques non adossées (un-backed en anglais) consiste dans un premier temps à déconseiller leur utilisation, y compris furnir de sevices pour l’utilisation auc clients. Un raisonnement bien articulé qui, de l’avis de l’auteur, pourrait théoriquement ouvrir un espace de dialogue limité et spécifique. Pour autant, déconseiller ne signifie pas interdire.